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Quand un criminel est condamné à mort, on a cette humanité de lui épargner le supplice de l’attente ; et c’est à peine si deux heures s’écoulent entre le moment où il est averti qu’il va mourir et le moment où il meurt.

Ainsi, comme l’imagination, l’attention est un appareil d’excitabilité, c’est-à-dire qu’elle rend extrêmement sensibles à la peur des individus qui, sans cela, auraient été d’une insolente bravoure.

Il est vrai que l’attention est, jusqu’à un certain point, volontaire. On peut, dit-on parfois, distraire ses pensées et songer à autre chose. Le conseil est facile à donner, mais en vérité il n’est pas facile à suivre. On conseille à quelqu’un qui a mal aux dents de ne plus penser à son mal. Mais vraiment est-ce possible ? J’en appelle à ceux qui ont souffert. Est-ce que le condamné à mort, quand l’arrêt de mort lui a été notifié, peut songer à autre chose qu’à la minute finale qui tranchera sa vie ? Est-ce que le passager, surpris par la tempête, ballotté par une mer furieuse, peut penser à autre chose qu’au danger d’être englouti dans l’abîme ?

L’attention ne se commande que quand il s’agit d’images indifférentes. Les images violentes, les émotions fortes commandent l’attention et ne sont pas commandées par elles.

L’attente de la peur, c’est-à-dire, en termes un peu différens, mais en idées semblables, l’attention à la peur, c’est presque la peur elle-même. De même qu’une douleur inattendue est bien moins intense qu’une douleur attendue, de même une peur survenant à l’improviste est bien moins forte qu’une peur qu’on a méditée à loisir. Il est probable, — et fort heureusement, car j’aurais grande peur, — que je ne verrai jamais de fantôme ; mais, si je devais en voir un, j’aimerais mieux être surpris par cette vision survenant inopinément que d’avoir la certitude que le fantôme viendra me visiter à tel jour et à telle minute.

En somme, de quelque côté que nous envisagions le problème, nous trouverons que la peur, en tant que sensation, en tant qu’émotion de la conscience, dépend uniquement de notre excitabilité individuelle. Elle est donc tout à fait indépendante de la volonté. Cependant la volonté peut intervenir ; mais, quelque puissante qu’on la suppose, elle ne peut rien sur nos sentimens, elle n’agit que sur les actes, et c’est cette influence sur nos actes qui caractérise le plus ou moins de volonté.

Prenons l’exemple du soldat qui, entendant siffler les balles autour de lui, ressent une forte frayeur. Il ne pourra rien sur son émotion et sur sa frayeur, assurément légitime. Mais il pourra, par un effort de volonté, ne pas s’enfuir et continuer à marcher en avant. Il faudra peut-être un effort de volonté, plus puissant encore, pour arrêter le réflexe psychique qui consiste à baisser la tête. Toute-