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celle-ci profitant du reflet de celle-là? Ne ménagent-elles pas aux gens qui regardent l’œuvre un plaisir plus facile? Or la clarté dans l’objet et le moindre effort pour le spectateur, voilà chez nous deux conditions de succès. D’ailleurs, en balançant le public d’ici là, et réciproquement, et ainsi de suite, sans qu’il risque jamais d’être jeté hors du sujet, ces oppositions lui procurent un amusement spécial. Ce mouvement sans péril, ce jeu bien réglé, est pour la moyenne des esprits français un délassement gracieux et même une distraction piquante. Plus ce jeu sera prolongé, pourvu qu’il soit bien réglé tout le temps, et mieux l’auteur d’une comédie sera récompensé par les petits rires de l’auditoire. Or, M. Doucet, patient et habile, excelle en ces artifices de symétrie.

Nous avons vu que, dans son paradis, il a plus d’une pomme, ou plutôt qu’il a plusieurs vergers en un seul. Possesseur d’un petit bien où le fruit défendu abonde, il l’a disposé à la française, et d’une manière si heureuse qu’en se promenant avec lui, par les allées droites, on trouve à chaque instant un point de vue d’où l’on découvre un double spectacle, amusant par le contraste, et d’où l’on peut sans peine évoquer un double écho. De ci, de là, les voix se répondent, et se répondent encore, comme des balles renvoyées par de persévérantes raquettes. A pointer les coups, on se fatiguerait ; la partie dure quelquefois, sans une pause, pendant une scène entière :


Marguerite aime trop les champs : cela m’ennuie,
— Du monde et des plaisirs Claire a trop la manie.
— Diable d’oncle! — Cela m’inquiète: à Paris,
Je connais les dangers que courent les maris.
— Je connais les dangers qu’on court à la campagne.


Et ainsi continuent les a parte, suivis d’un dialogue sur le même mode : amat alterna Camillus...


Tu connais mon hôtel dans les Champs-Elysées?
— Tu connais mon donjon aux tourelles brisées?
— Il est neuf... — Il est vieux et laid... — Il est fort beau!
— j’achète ton hôtel ! — j’achète ton château !


Et cette scène du premier acte aura un pendant au troisième :


Je te rends ton hôtel! — Je te rends ton château!


Ce procédé rythmique pour rendre sensible à l’oreille et à l’esprit les contrariétés des caractères et des situations, on le retrouverait plus ou moins facilement d’un bout à l’autre de la pièce. Il y faut joindre enfin, — tant la vertu de ce système agit par toute l’œuvre, — un procédé