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contraire, l’étant depuis plus longtemps, et d’une certaine date où on l’était davantage. Est-ce des cheveux blancs qui couronnent cette figure nette et rose, où les yeux pétillent? Non pas; mais depuis le XVIIIe siècle, où la mode était de ne pas vieillir, M. Camille Doucet reste poudré.

J’ai parlé d’épître dialoguée : n’est-ce pas, en effet, une épître mise en action et adressée au public, cet agréable Fruit défendu? Depuis le temps de Boileau jusqu’à celui de M. Viennet, le Français, ne disciple d’Horace, cultiva ce genre de poésie familière; au siècle dernier, il se plut même à le porter sur la scène. Au théâtre, comme sur le papier, le thème d’un de ces petits ouvrages doit être une vérité morale, une de celles qu’admet sans débat et par habitude la sagesse des nations. Le fondement de cette comédie est bien de l’espèce requise : l’attrait du fruit défendu est connu depuis Eve, et l’on sait par tous pays que ce fruit a une vertu spéciale pour faire venir l’eau à la bouche. Voilà donc une matière où personne ne trouvera rien à redire, qui n’est ni rebutante ni inquiétante; il est vrai qu’elle n’a pas par elle-même une rare valeur: la question est de savoir par quelle forme ingénieuse le poète en renouvellera l’aspect.

M. Camille Doucet s’est attribué trois nièces... Mais non! disons: le docteur Desrosiers ; car on croirait qu’il s’agit de l’Académie des sciences morales, d Q l’Académie des beaux-arts et de l’Académie des inscriptions... Le docteur Desrosiers donc a trois nièces, trois fraîches orphelines, laissées à sa charge, et un neveu, leur cousin, encore étudiant. Ce vieux célibataire, instruit par l’aventure d’un de ses parens qu’il connaît bien, pour l’avoir rencontré chez Collin d’Harleville, ne s’occupe de rien au monde plus que de faire le bonheur de cette jeunesse. Il avait offert à son neveu Léon le droit de choisir pour femme une des deux aînées, Claire ou Marguerite; mais le papillon s’est envolé loin de ces fleurs permises. L’oncle se décide à marier Marguerite et Claire: dès lors, fruit défendu par-ci, fruit défendu par-là; Léon devient amoureux de ses deux cousines. L’oncle est philosophe; il connaît le cœur humain et l’art de tourner à bien ses travers : il déclare au neveu que, pour la troisième, Jeanne, il n’y doit point songer, attendu « qu’un obstacle éternel les sépare. » Jeanne est le dernier fruit défendu, et même plus défendu que les autres : c’est donc le plus appétissant, et celui que le jeune homme, au dénoûment, croque en de justes noces. — Tandis que se développait cet exemple en partie double, les maris de Claire et de Marguerite, MM. de Varenne et Jalabert, en fournissaient un autre sur la marge. M. de Varenne est Parisien, M. Jalabert campagnard; l’un se fait donc de la campagne une idée adorable; et l’autre, de Paris : toujours le fruit défendu ! l’un échange son hôtel contre le château de l’autre, malgré les goûts de leurs femmes. Mais ici la satiété suit de près la gourmandise: l’objet, apparemment, pour chacun des amateurs,