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de nos arrière-grands-pères et de nos grands-pères, et qui peuvent encore, à certains jours, — maintenant que ce genre d’agrément est classé à sa date et n’est plus mis en question comme sous nos pères, nous donner du plaisir... N’est-ce pas quelque chose que d’être un tel homme et d’avoir sa place? On aime à l’y voir de temps à autre, ne serait-ce que pour se reposer du spectacle de personnages plus considérables, ou plus ambitieux aussi, ou plus ambitieux seulement : de même, quelquefois, au lieu de grands crus ou de liqueurs savamment composées, on est bien aise de boire un pur petit vin de pays. C’est justice que M. Camille Doucet soit secrétaire perpétuel de l’Académie française et visiteur intermittent, du moins, de la Comédie-Française; il a, pour ce double honneur, un titre tout simple, mais original à présent que nous faisons tant d’échanges avec l’étranger : c’est qu’il est Français ; non pas, je le sais bien, grand Français comme tel de ses collègues; mais enfin, c’est quelque chose encore, c’est peut-être même quelque chose de plus rare et de plus piquant aujourd’hui, que de consentir à être petit Français.

« Le petit Français ! » ce nom lui va bien ; il sied à son activité discrète, sa bonhomie malicieuse, au trottinement allègre de sa muse pédestre. Je demande que M. de Lesseps le lui décerne, de la part de l’illustre compagnie, en plein foyer du théâtre, un soir que cette reprise du Fruit défendu atteindra un nombre estimable de représentations. L’orateur, à la fin de son speech, annoncera que, pour la prochaine reprise, le canal de Panama sera terminé ; puis il portera un toast, et l’on sentira


Les cœurs se rencontrer alors comme les verres;


car M. Doucet ne peut pas dire, ainsi que tels personnages de sa comédie :


Nous aimons tout le monde... — et n’avons pas d’amis!


S’il aime tout le monde, c’est qu’il en trouve le temps, ayant le cœur aussi vif que l’esprit; mais il a des amis, et qui se réjouissent de son regain de succès. Un de ses héros, celui qui le représente à peu près dans cette épître dialoguée, le docteur Desrosiers, dit avec une indulgence honnêtement sournoise :


J’aime les jeunes gens, quand ils ne sont pas vieux...


Nous-mêmes, jeunes gens, aimons M. Doucet justement par la même raison: ce vieillard n’est pas vieux; il est plus jeune que nous, au