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Même en matière de foi, l’art moderne ne saurait décidément renoncer à l’élément passionnel. Nous humanisons les choses divines pour les rapprocher de nous ; et, comme à son Eve aux cheveux blonds, le poète aujourd’hui pourrait dire à la musique :


Tu fis ton Dieu mortel, et tu l’en aimas mieux.


Sous ce titre de Mors et Vita, le plus vaste que puisse porter une œuvre, M. Gounod, poète et musicien religieux, a réuni ce que les théologiens appellent, je crois, les fins dernières de l’homme : la mort, le jugement et la vie éternelle. Cette trilogie est la suite de la Rédemption : elle montre l’achèvement de la destinée humaine selon la parole divine. Le second oratorio de M. Gounod marque un pas de plus dans la voie de l’idéalisme mystique. Une action humaine : la Passion; la désignation des personnages comme le bon larron, la Vierge, saint Jean, les saintes femmes et les apôtres, tout cela rattachait encore Rédemption à la terre. Rien n’y rattache plus Mors et Vita; ici, toute voix est impersonnelle, anonyme, et dans les sphères surnaturelles où l’œuvre plane, l’idée musicale seule pouvait la soutenir et l’a en effet soutenue.

C’est une pensée grandiose de commencer par la mort, et de tout détruire pour tout réédifier. Les premiers accords de Mors et Vita retentissent sur les ruines du monde. « Il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant, » chantent à pleine voix les chœurs accompagnés par une sonnerie de cuivres. Mais presque aussitôt les harmonies s’épanouissent et s’éclairent, et Jésus répond : « Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra éternellement. » L’œuvre tient tout entière dans ce court prologue, où deux phrases magistrales résument le sujet : les terreurs de la mort et les espérances de la vie.

La première partie de l’oratorio, et la plus considérable, est une messe de Requiem. Requiem æternam doña eis, Domine! La fin de la fatigue et de la lutte, le repos, voilà donc ce que demandent pour toute âme partie les âmes qui demeurent. Non pas même le bonheur, on dirait que les hommes n’osent pas le réclamer de Dieu, mais le repos. Voilà le mot qui plane sur tout l’office des morts, et que M. Gounod, dans l’ensemble, et notamment dans le début de sa messe, a magnifiquement exprimé. Après une courte psalmodie, se dessine pour la première fois la phrase qui symbolise, au cours de la partition, les regrets et les larmes. Elle gémit sous l’archet des violens, elle monte très haut, pour redescendre, traînante et désolée, tandis que le chœur redit tout bas le texte de la prose funèbre. Ces premières pages