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valait bien une messe. Aujourd’hui le successeur du roi sergent est empereur d’Allemagne; le successeur de ces brillans Saxons a encore la messe, — je viens de le voir tout à l’heure agenouillé à l’église, tenant dévotement son livre dans ses mains gantées de blancs, — mais il n’a plus la Pologne : a-t-il encore la Saxe?

26 avril. — Au jardin zoologique de Dresde, je lis sur une cage ces mots : Vrais chiens ratiers allemands. J’avais déjà remarqué à des étalages de boutiques ce certificat d’origine allemande décerné à des produits pour les recommander : Echt deutsch, c’est l’éloge par excellence. On sait avec quelle facilité l’épithète deutsch, allemand, est attribuée à toutes sortes de choses, aux vertus en général, et en particulier à la bonne foi, à la fidélité, à la chasteté, à la modestie. Le même honneur est fait à tout ce qui est beau et vigoureux dans la nature. J’ai déjà raconté l’étonnement d’une jeune femme qui, apercevant des chênes dans un premier voyage en France, n’en pouvait croire ses yeux. A force d’entendre dire die deutsche Eiche, le chêne allemand, elle croyait qu’il n’y avait de chênes qu’en Allemagne.

C’est là une des formes de cette naïve admiration de soi-même qui est un des traits principaux du caractère des Allemands et qui explique leurs sentimens à l’égard des étrangers. Je ne sais si je me trompe, mais la haine germanique contre le Polonais ne me semble pas provenir toute entière du remords des crimes perpétrés sur la Pologne. Les mesures, tout à fait extraordinaires en ce siècle, qui ont été prises ou que l’on va prendre dans les provinces de l’est, ne s’expliquent pas uniquement par le désir trop naturel de faire disparaître le cadavre ; dans le Polonais, l’Allemand déteste le Slave, l’étranger. La haine barbare et stupide du juif est un phénomène du même ordre. Nous disons quelquefois en parlant d’un personnage dont l’avidité n’a point de scrupules : « c’est un vrai juif allemand ; » mais, pour nos voisins, il n’y a pas de juif qui soit un vrai Allemand. « Quelle chose amère, s’écriait, au plus fort de l’agitation antisémique, un député au Reichstag, israélite de grande distinction et qui a rendu de signalés services politiques, quelle chose amère que de se sentir étranger dans son pays! » Étranger est le mot : ce que réclament les antisémites, c’est l’expulsion d’un corps étranger hors de l’organisme de la saine Allemagne.

Vrais chiens ratiers allemands! Est-ce qu’on va exiler les autres?

Leipzig, le 28 avril. — Visite de l’université, en particulier de deux très beaux instituts, bien aménagés pour le travail (l’un d’histoire naturelle, l’autre de chimie), sous la conduite des directeurs, hommes très obligeans, qui n’ont pas épargné leur peine.