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jusqu’à la mer, et s’encadrer ainsi par deux côtés au moins dans la nature. Berlin est au milieu de l’Allemagne du Nord, mais il était aux avant-postes quand des principautés slaves couvraient cette région de l’Est sur laquelle les margraves de Brandebourg et leurs successeurs les rois de Prusse ont étendu la conquête germanique. Berlin est un centre, mais d’une circonférence qui a été tracée par les armes et par la politique : sa grandeur est chose factice, je veux dire créée par la volonté, et c’est par ordre royal qu’il est devenu ville. Après que nos compatriotes, les réfugiés protestans du XVIIe siècle, eurent donné à cette bourgade fangeuse quelque propreté, des industries, des arts inconnus, et une population élégante et vaillante à tout travail, les princes mirent leur amour-propre à continuer l’œuvre des exilés. Ils commandèrent qu’on fît de belles rues et de beaux quartiers. Frédéric-Guillaume Ier connaissait la fortune de ses bourgeois : « Tu es riche, mon gaillard, disait-il ; bâtis, » et le gaillard bâtissait, car il n’eût pas fait bon qu’il ne bâtît point. Et c’est ainsi que Berlin commença de grandir; après quoi, la rivière faite, l’eau est venue, comme toujours, à la rivière.

Le voyageur, qui, au sortir d’un désert, arrive à Berlin, se trouve en face d’un des plus étonnans produits de l’état prussien.

21 avril. — Je n’avais pas vu Berlin depuis neuf ans. Le changement est considérable : cent mille habitans de plus, un chemin de fer métropolitain, nombre de nouveaux tramways et de nouveaux omnibus. On surélève des maisons; on en abat d’autres pour les refaire plus belles ; les ruisseaux qui coulaient le long des trottoirs ont été recouverts ; des égouts ont été construits, travail gigantesque dans cette sablière. A la périphérie, s’ouvrent de nouveaux quartiers dont les rues droites sont bordées de hautes habitations uniformes : les appartemens y sont grands et bon marché ; la commodité des communications permet à des ménages de petite fortune d’aller s’installer là et d’y trouver leurs aises même avec des enfans, car les architectes de ce pays semblent prévoir qu’on peut avoir des enfans.

L’aspect général est embrouillé. Berlin n’a point une rive gauche et une rive droite, comme Paris : la Sprée se cache, et c’est ce qu’elle a de mieux à faire. Il y a un « point éclatant, » un Glänzepunkt, comme disent les Allemands, c’est l’avenue des Tilleuls ; elle mène au Thiergarten et peut être comparée aux Champs-Elysées, qui mènent au bois de Boulogne, mais quelle différence ! Au pied des Champs-Elysées se trouve cette place qu’ornent ses monumens sans l’enfermer; en haut, sur une colline, l’arche qui s’ouvre dans le ciel. Le promeneur qui s’arrête à l’entrée, voit passer, dans l’énorme baie de l’Arc-de-Triomphe, de toutes petites taches noires : ce sont des voitures qui, là-bas, traversent l’avenue.