Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/907

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien à ces barques informes, non pontées, que l’imagination de quelques biographes avait créées pour faire plus périlleuse et, par conséquent, plus glorieuse encore qu’elle ne fut l’entreprise de l’amiral. » On voit dans le même ouvrage que la chaloupe de la Santa Maria[1] avait 10 mètres de longueur ; toutes les trois portaient des embarcations solides et capables de transporter à terre et de promener le long des côtes des hommes armés ; cela ne suppose pas de trop petits navires. Dans une lettre qu’il écrivait au moment d’en faire l’armement dans le port de Palos, Colomb les qualifiait de « trois bâtimens très convenables. »

Qui ne sait, d’ailleurs, que les petits navires à voiles de 50 à 100 tonneaux sont d’excellens navires, capables de naviguer partout avec sécurité, et qu’ils ne peuvent être compromis que par un accident, une fausse manœuvre ou un mauvais temps exceptionnel, tel qu’un cyclone ? Quel est le navire qui tient mieux la mer et la cape que les goélettes de 50 tonneaux qui naviguent sur les côtes tempétueuses des États-Unis du Nord et de Terre-Neuve ? Il en est de même pour les cotres de la Manche, qui étalent sans fatigue les coups de vent de la Mer du Nord et de la Mer d’Irlande, et dont les équipages robustes et satisfaits jouissent à bord de tout le bien-être nécessaire au maintien de leur santé, de leur vigueur et de leur moral. Il est vrai que ces goélettes, que ces cotres n’ont qu’une marche médiocre, qu’ils sont larges, relativement vastes, qu’ils ont un arrimage bien combiné, qu’ils ne fendent pas la lame et s’élèvent légèrement dessus, dans un berceau d’écume, comme une mouette ; mais aussi leurs mouvemens sont doux, leurs équipages sont convenablement logés et nourris, et, dans les intervalles de leurs travaux, peuvent dormir paisiblement ; que le plus gros mauvais temps survienne, une bonne voile de cape, la barre dans une position convenable, et ils pourront attendre patiemment et sans souffrir qu’il plaise au vent et à la mer de se calmer.

Et c’est de l’exemple de semblables navires, véritables oiseaux des mers, qu’on se prévaudrait pour attribuer toutes les qualités nautiques aux torpilleurs autonomes, à ces engins (car ce ne sont pas des bâtimens) qui traversent la lame comme une flèche et glissent dans l’eau plutôt que sur l’eau ? Qu’ont de commun les incomparables petits navires à voiles, qui sillonnent les parages les plus périlleux, avec ces boîtes de fer, aussi étroites qu’allongées, qui tourmentent, qui excèdent leurs équipages, sans leur permettre un moment de repos, par une trépidation désespérante et par une continuité et une exagération de mouvemens saccadés qui, joints à toutes les privations,

  1. La caravelle que montait Christophe Colomb en personne.