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dire qu’il ne puisse être original ; nos écrivains français ont tous fait leur éducation au moyen de la littérature latine. En sont-ils moins français ? .. »

Il est vrai que l’Amérique paraît dépendante de l’Angleterre en ce sens qu’elle n’a pas en à se créer une langue et que la pensée anglaise, telle qu’elle existait à la date des établissemens de Jamestown et de Plymouth, est au fond de son développement intellectuel. Elle n’a point progressé peu à peu, — selon la loi générale, — des ténèbres de la barbarie au sentiment de l’art. Le caractère national y restera longtemps incomplet, des élémens hétérogènes s’agitant chez elle dans des zones aussi distinctes par leurs attributs physiques, quoiqu’elles soient unies entre elles politiquement, que la Norvège peut être distincte de la Sicile. A une époque quelconque, des émigrans de toute provenance ont apporté avec eux les coutumes, les manières de voir et de s’exprimer appartenant à leur patrie respective. Ce mouvement perpétuel de l’émigration, qui continue, ajoute sans cesse des ingrédiens nouveaux à un mélange où se trouvent rassemblées les qualités diverses de presque tous les peuples du monde. Comment la fleur sortie de terrains composites à ce point, comment la littérature serait-elle américaine de la même façon que les produits d’Italie sont italiens, et français ceux de France ? Dans un pays immense, il est naturel que chaque citoyen s’attache à la province d’où il est originaire, que poète il persiste à célébrer une localité avec des traits particuliers, de même qu’en politique les droits d’état passent encore pour lui presque inconsciemment avant la suprématie générale de la fédération. Donc, s’il existe très réellement une école américaine de poésie, le poète national proprement dit est encore à naître.


II

Nous avons dit que l’éclosion et le développement de l’art furent retardés par de nombreux obstacles, dont quelques-uns ne sont pas surmontés entièrement : d’abord, par la nécessité d’une lutte incessante contre les forces élémentaires et gigantesques d’une nature sauvage. Certes, les colons étaient munis, pour en venir à bout, de toutes les ressources que procure une civilisation déjà très avancée ; aussi l’œuvre marcha-t-elle, dès le début, avec une rapidité qui s’accentue de jour en jour, grâce aux progrès de l’industrie ; les premiers poèmes épiques furent le défrichement des forêts vierges, la destruction des Indiens et des bêtes fauves, la création d’un gouvernement libre. cette nature écrasante par son immensité, contre laquelle se mesurait l’homme, n’avait point de légendes ; on y eût cherché inutilement la troupe inspiratrice des nymphes,