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les laisser de côté et de réserver ces accusations pour leurs aînés. Ils ont fait deux parts de la marine : les officiers généraux et supérieurs sont des arriérés dont on ne peut rien tirer; les lieutenans de vaisseau seuls sont bons à quelque chose[1].

Ces accusations ont été jetées, depuis plus d’un an, à la face de la France et de l’Europe, aux officiers généraux et supérieurs de la marine française, à ces mêmes officiers qui, vivement préoccupés du danger des torpilles, ont insisté avec tant de persévérance et de succès pour assurer, contre l’attaque des torpilleurs, la défense de la rade de Toulon et des flottes qu’elle abrite ; voilà ceux qu’on représente comme ne prenant nul souci de la torpille et ne se préoccupant que du canon. Leur crime est tout simplement de penser que la question de la torpille, comme arme de combat à la mer, ne peut être assez élucidée avant l’expérience d’une guerre, pour qu’il y ait lieu d’adopter dès aujourd’hui un parti radical en reléguant, sur l’heure, nos vaisseaux dans le musée naval du Louvre et nos canons dans les galeries du musée d’artillerie. On qualifie d’obstacle la prudence réfléchie avec laquelle ils demandent qu’on agisse.

Voilà où peut mener la passion d’une idée dans une spécialité que l’auteur de ces amères critiques ne pouvait connaître que superficiellement, car, dans la torpille, il y a deux objets à considérer : l’engin en lui-même et son usage à la mer. Je lui abandonne l’engin ; mais je dis que, dans les résultats de l’usage à la mer, l’habileté des manœuvres, les ressources de l’audace et celles de la ruse, l’animation du combat, l’extrême rapidité de la marche des deux adversaires, l’influence de la houle et celle des courans, enfin, les difficultés pratiques qui se rencontrent toujours dans l’application, à un combat réel, des opérations les plus simples en théorie ou dans un exercice, je dis que tout cela introduira des élémens qui pourront modifier les résultats prévus, élémens que les marins seuls peuvent soupçonner, mais ne pourront eux-mêmes apprécier à leur juste valeur qu’après l’expérience de combats pour de bon. Par les marins j’entends non-seulement quelques individualités plus ou moins marquantes et enthousiastes et le petit nombre d’adhérens que l’influence de leur situation peut grouper autour d’elles, mais la généralité.

Ainsi donc, tout ce qui est au-dessus du grade de lieutenant de vaisseau, tout ce qui a plus de trente-cinq à quarante ans (sauf, bien entendu, les adeptes), est considéré comme un obstacle au

  1. Lire la page 881 de la Réforme de la Marine, dans la Revue du 15 décembre 1884. Le présent travail était remis à la Revue un mois avant la mort de l’auteur de la Réforme de la Marine, enlevé si prématurément à la science et aux lettres.