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m’avaient engagé à émettre mon avis là-dessus. Je m’étais abstenu par suite de ma répugnance à me mettre en avant et à soutenir des polémiques, quelque courtoises et impersonnelles qu’elles puissent être, car il est bien entendu que seules les doctrines sont en jeu et jamais les personnes[1].

Celle que j’ai soutenue il y a quelques années pour les jetées de la rade de Toulon, dont j’étais un des chauds partisans, et dont, conjointement avec les membres distingués de la commission que j’avais l’honneur de présider, j’ai fait adopter le tracé, prouve que j’appréciais déjà toute la puissance de la torpille; c’est pour elle que je luttais alors contre ceux qui, ne la prenant pas suffisamment au sérieux, ne pouvaient se résoudre à déparer la rade de Toulon. Dans cette circonstance comme aujourd’hui, je n’ai cédé qu’à l’amour que j’ai toujours porté aux choses de la marine et à l’intérêt dévoué que je leur porterai jusqu’à mon dernier jour[2].

Alors j’étais en avant ; aujourd’hui je suis en arrière ; mais je ne me déjuge nullement pour cela ; c’est qu’il y a une différence immense entre l’attaque des torpilleurs contre des bâtimens au mouillage et cette même attaque contre des bâtimens à la mer; dans le premier cas, c’est une question jugée ; dans le second, c’est une question pendante et qui ne cessera de l’être qu’après l’expérience sérieuse d’une guerre.

Des impatiens font une affaire d’entraînement et de passion d’une question où tout ne doit procéder que d’une étude lente et consciencieuse, d’une conviction froide et mûrie et dans laquelle bien des considérations diverses doivent être mises en compte. Ils s’indignent que toutes leurs idées ne soient pas acceptées a priori et d’enthousiasme; ils eussent voulu que tous nos officiers se précipitassent comme un seul homme à leur suite et votassent d’acclamation le triomphe absolu de la torpille et la déchéance complète du canon. Comme ils ne pouvaient pas dire que les jeunes officiers fussent arrêtés par la routine et aveuglés par le culte du passé, et que d’ailleurs ils tiennent à les mettre de leur bord, ils ont eu soin de

  1. j’ai gardé le silence tant que les circonstances ne m’ont pas paru pressantes.
  2. Ma réponse aux violentes critiques adressées aux jetées de la rade de Toulon et publiées, sous le pseudonyme d’un Vieux marin, par quelqu’un qui ne l’était pas, dans un journal de Toulon, forme une série de vingt-huit articles publiés dans ce même journal du 5 avril au 5 décembre 1880. Suivant le désir exprimé plus tard par le ministre de la marine, sous les yeux duquel furent mis ces articles, je remaniai ce travail de manière à faire disparaître tout ce qui ressemblait à une polémique et à le convertir en un petit traité intitulé : la Rade de Toulon et sa défense, exposant l’historique de la question et l’objet de ces jetées. Ce travail fut, par l’ordre du ministre, publié dans la Revue maritime et coloniale (septembre, octobre et novembre 1881), dans la partie scientifique et littéraire du Journal officiel (n° du 22 octobre, 6 novembre, etc., 188P, et publié aussi en brochure.