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et en prenant ses précautions, il serait sage d’attendre les résultats d’une semblable expérience avant de proclamer le triomphe certain, infaillible, général, toujours et partout, à la mer du torpilleur. Enfin, on ne se dit pas beaucoup d’autres choses que nous allons passer en revue le plus brièvement possible.


I.

Énonçons d’abord, pour fixer les idées, les principales propositions que j’espère démontrer.

1° Le rôle des torpilleurs autonomes actuels ne peut être que celui de garde-côte ; pour des raisons péremptoires que j’exposerai plus loin, le domaine de la haute mer leur est pratiquement interdit, quoique je ne leur conteste pas la faculté de tenir convenablement la mer, dans les gros temps ordinaires et, tant que leur machine, fonctionnant convenablement, leur permettra de bien gouverner.

2° La terreur que l’attaque d’un torpilleur doit, dit-on, inspirer à tout navire, ne peut, dans tous les cas s’entendre que des navires au mouillage, et ils n’y seront exposés que dans les rades ouvertes ; quant à l’attaque d’un torpilleur à la mer contre un bâtiment bien armé, bien commandé, d’une excellente marche et évoluant bien, elle ne doit pas, à mon avis, préoccuper ce dernier plus que ne ferait l’attaque d’un bâtiment ennemi en tout semblable à lui-même.

3° Une réunion nombreuse de torpilleurs à la mer en vue d’une entente commune et d’une manœuvre combinée, à la poursuite d’une flotte ennemie, ne pourra que difficilement remplir son objet, et seulement par un temps à souhait ; dans une nuit obscure ou par un temps sombre ou couvert et pluvieux, surtout s’il s’y ajoute une mer grosse et un vent frais, cette réunion n’aboutirait le plus souvent qu’à une mêlée d’aveugles dans laquelle les torpilleurs se feraient plus de mal à eux-mêmes qu’ils n’en feraient aux ennemis[1]. Il est douteux que l’on se risque à faire des expériences de ce genre dans des circonstances capables de les rendre décisives ; on ne saurait établir aucune comparaison, sous le rapport de l’ordre, de la sécurité, de la facilité d’entente et de la préservation des abordages, entre une réunion de bâtimens ordinaires et une réunion de torpilleurs tels que ceux dont il s’agit.

4° De la première proposition il résulte que, dans le cours de leur navigation dans la haute mer, les bâtimens de guerre ou de commerce n’auront pas à craindre la rencontre des torpilleurs actuels ;

  1. Depuis que ce travail a été écrit, les abordages sérieux qui ont eu lieu près de Toulon, du 6 au 15 mai, sont venus confirmer cette proposition.