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représentans ne le cèdent en rien à leurs confrères d’Europe, cette déclaration très justifiée, appuyée sur des preuves, fera tout d’abord l’effet d’un paradoxe. Le livre intitulé : Poets of America, mérite donc d’être signalé à cause de la nouveauté même du sujet.

D’autres titres encore le recommandent. Si la poésie ne manque pas, quoi que l’on puisse croire, sur la terre par excellence de l’industrie, la critique, cette forme raffinée de l’esprit, ce résultat suprême du tact et du goût longuement exercés, la critique judicieuse et désintéressée qui dédaigne la réclame, ne s’était pas jusqu’ici acclimatée bien franchement en Amérique, et ses premières tentatives vraiment sérieuses portaient de préférence sur des sujets étrangers. Il faut savoir gré à M. Stedman d’avoir consacré l’érudition pénétrante, la haute impartialité dont il est capable, à nous faire connaître la littérature poétique telle que, depuis les origines, elle existe dans sa patrie. Son étude très considérable, très approfondie, est conduite avec la méthode, la conscience, la clarté qu’il appliqua naguère aux œuvres des Victorian Poets[1] ; peut-être la forme en est-elle un peu lourde, un peu diffuse, trop chargée de citations, trop abondante en redites. Ou nous nous trompons fort, ou il y a là une série d’études publiées d’abord séparément ; certaines coupures auraient pu y être pratiquées avec avantage ; mais cette marche, pour pesante qu’elle soit, est ferme et sûre, appuyée sur un savoir profond et une honnêteté indiscutable. En suivant pas à pas M. Stedman, nous ne risquerons point de nous égarer dans les sentiers assez mal explorés jusqu’ici du Parnasse américain.


I

Il y a dix ans que M. Stedman, qui est lui-même un poète, passait en revue la pléiade poétique du règne de Victoria et préludait ainsi à la revue non moins attentive du groupe correspondant aux États-Unis, avec l’intention de poursuivre son examen de la poésie anglaise dans les deux mondes durant un laps de cinquante ans. L’œuvre complète est réalisée aujourd’hui. Poets of America met en relief les qualités distinctives d’une nouvelle série de poètes qui, employant la même langue, diffèrent néanmoins de leurs devanciers d’Europe par les dons naturels, par les caractéristiques surtout qui résultent du milieu où le talent se développe.

Au lieu d’appuyer cette fois sur certaines considérations générales purement relatives à l’art et à ses méthodes diverses, comme il s’y était efforcé dans un premier travail fort estimé, M. Stedman

  1. Victorian Poets, 1 vol. Boston and New-York ; Houghton, Mifflin and Cie.