Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/867

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à leur vert un peu grisâtre; on eût dit plutôt des massifs continus d’arbustes qu’une véritable forêt. Oh! nul plus que moi n’aime et n’admire les véritables forêts sous lesquelles on s’enfonce, perdu dans un mystère silencieux, qu’interrompt seul le bruit du vent dans les feuilles ou quelque cri d’oiseau, étrange et plaintif. Mais, pour servir de cadre à une longue caravane, interminable farandole s’étendant au loin en innombrables anneaux, il vaut mieux ces broussailles multicolores qui l’entourent toujours et ne la dissimulent jamais. j’avais pris soin de rester à l’arrière-garde, afin de jouir du coup d’œil. Il était charmant. Nos cavaliers, de près assez vulgaires, faisaient illusion à distance, parmi cette verdure et ces fleurs. Leurs grands burnous blancs agités par la brise matinale, leurs fez écarlates, leurs fusils à gaines rouges passaient et repassaient le long des collines boisées, ondulant en quelque sorte sur leurs flancs égayés. Parfois une gorge profonde, mais entièrement couverte de chênes-liège, d’oliviers et de bruyères, s’ouvrait sous nos pas. Nous la franchissions sans peine et, pendant que les derniers venus descendaient une pente, les autres, remontant la pente opposée, formaient un ruban mobile, aux tons délicieux. On ne sentait pas la fatigue de la route. C’est presque sans nous en apercevoir qu’en avançant ainsi, à demi grises par les sensations de cette matinée de printemps, nous nous trouvâmes, au bout de quelques heures de marche, sur le vaste plateau d’El-Khmis, point culminant d’où l’on embrasse à la fois et la contrée très accidentée que nous venions de traverser, et l’immense bassin du Loukkos où nous allions pénétrer. Il arrive rarement au Maroc de se trouver en présence d’un panorama aussi vaste et aussi varié. Le village d’El-Khmis, environné de cactus, comme tous ceux du pays, est fort grand. Le nom qu’il porte indique qu’il s’y tient un marché le jeudi. Il paraît avoir beaucoup d’importance commerciale. Les indigènes y sont très affables. Les femmes nous attendaient sur leurs portes pour nous offrir un lait exquis; les hommes faisaient la fantasia autour de nous; les enfans nous poursuivaient avec des cris d’animaux ; les chiens aboyaient, sans doute par sympathie. Tout semblait de bonne humeur. Quant à nous, comment ne l’aurions-nous pas été quand, à quelque distance du village, nous aperçûmes la mer, cette fois toute bleue, la petite ville d’El-Arâïch, blanche et rose, à l’embouchure du Loukkos, ce fleuve jauni serpentant à perte de vue dans une contrée plate, mais chargée de cultures et de bois d’oliviers, enfin les montagnes de l’horizon à demi effacées par la lumière trop claire du matin, et néanmoins assez visibles pour fermer avec grandeur ce paysage plein de grâce, qui nous promettait enfin quelques-unes des séductions de l’Orient?

Il faut près d’une heure encore pour aller de El-Khmis à El-Arâïch.