Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/853

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aventure; mais ils ne sont ni nombreux, ni originaux en aucune manière. Il m’a même semblé que Tanger n’abondait pas en sorciers. j’en ai cherché toute une journée avec deux amis, désireux, comme moi, de s’initier aux croyances et aux superstitions populaires. Nous sommes entrés, à cet effet, dans un certain nombre de cafés arabes, où nous avons tâché, tout en dégustant nos tasses de café, de faire causer les assistans sur ce sujet scabreux. Au premier mot que nous disions, les consommateurs, étalés, couchés à terre, dans les poses les plus alanguies, à demi abrutis par le kif et l’oisiveté, se réveillaient, souriaient et nous affirmaient, en hochant la tête, qu’il n’était pas difficile de trouver des sorciers au Maroc, attendu que tous les juifs l’étaient plus ou moins. N’obtenant des Arabes que cette réponse évasive, nous nous sommes adressés à une juive qui paraissait de bonne composition, afin de nous mieux renseigner. Celle-là nous a donné les détails les plus nombreux et les plus circonstanciés sur les faits et gestes des diables du pays. Mais je crois sincèrement qu’il n’y avait de diables que dans ses grands yeux noirs, brillans comme du feu ; il est vrai qu’ils avaient tout l’air d’en être pleins et qu’à chaque parole de la juive ils lançaient au dehors, comme pour nous embraser, les éclairs les plus perçans de l’enfer.

Si les musulmans prétendent que tous les juifs sont sorciers et plus ou moins disciples de Satan, il n’en faudrait pas conclure que Tanger soit une ville très fanatique; c’est, au contraire, la seule du Maroc où musulmans et juifs vivent côte à côte, en bonne intelligence. Il n’y a pas, pour ces derniers, de quartier particulier, de ghetto, ou, suivant le terme du pays, de mellah. Ils sont répandus partout au hasard et ne souffrent d’aucune avanie. De leur côté, les Européens jouissent à Tanger de la plus parfaite sécurité. On sait qu’il n’en était pas de même autrefois. Le Maroc est peuplé de chérifs, ou prétendus chérifs, descendans de Mahomet, qui se permettaient envers les juifs et les chrétiens toutes les impertinences et toutes les violences. En 1820, l’un d’eux se passa la fantaisie d’étendre parterre d’un coup de bâton le consul de France, M. Sourdeau, et, lorsque celui-ci se plaignit au sultan, Moula-Soliman se borna, en guise de réparation, à lui rappeler qu’il est dit dans l’Évangile : « Si l’on vous soufflette sur une joue, présentez l’autre. » Mais le gouvernement français ne tarda pas à prouver au facétieux sultan qu’entre la morale de l’Évangile et la politique française, il n’y a pas moins de différence qu’entre le Coran et certains actes des souverains musulmans. En 1855, un autre chérif s’étant enhardi jusqu’à assassiner un Français, il fallut consentir à verser le sang du Prophète pour racheter celui de l’infidèle : le chérif fut condamné à mort et exécuté, à la très grande surprise, mais à la très