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600 millions par an, qu’il accroisse, par conséquent, de 25 millions l’annuité qui grève son budget. On essaie de justifier une telle débauche de dépenses en disant qu’on crée pour une pareille somme de travaux publics. Mais on oublie d’examiner ce que produisent ces dépenses : si on construisait des chemins de fer dont les recettes couvrissent non-seulement les frais d’exploitation, mais donnassent un produit net, rien ne serait plus légitime que de porter à l’avoir de la nation la somme représentée par ce revenu capitalisé au taux de l’intérêt du pays, et si, par exemple, un chemin de fer donnait un produit net de 5,000 francs par kilomètre, ce revenu capitalisé à 4 pour 100 produirait 125,000 francs. Au contraire, si au lieu d’établir des lignes de fer donnant un produit net, on ne livre plus que des chemins ne couvrant pas leurs frais d’exploitation, on ne saurait traiter cette dépense autrement que la construction des routes, des canaux, des écoles, et on n’a jamais eu la prétention de payer ces dépenses utiles, mais sans revenu, autrement que par l’impôt. Je pourrais montrer qu’aujourd’hui on ne crée pas plus de chemins de fer qu’en 1875 et 1876, alors que le budget était en équilibre, que la seule différence consiste en ce qu’il y a dix ans on créait des chemins de fer utiles, donnant un produit net, et qu’aujourd’hui on n’ouvre plus que des lignes ne couvrant pas leurs frais, mais cela m’entraînerait trop loin.

Ce que je voudrais seulement indiquer, c’est le trouble profond qui résulte pour un pays d’un emprunt permanent de 600 millions. Loin de moi la pensée que la crise économique dont souffre la France et qui frappe plusieurs nations soit due uniquement à cette cause ! Il faudrait être bien ignorant ou bien partial pour méconnaître la double origine des souffrances qu’éprouvent depuis plusieurs années l’agriculture et l’industrie. Ce qu’on est convenu d’appeler la crise agricole tient surtout à l’abaissement du prix du fret qui a mis en concurrence les produits agricoles du monde entier; de là un abaissement du prix des denrées alimentaires et notamment du prix du blé ; les mauvaises récoltes de ces dernières années n’ont pas eu pour résultat comme autrefois de relever sensiblement en France les prix de ces denrées; de là une diminution du prix des fermages dans beaucoup de départemens et un avilissement égal dans la valeur de la terre.

Quant à l’industrie, poussée par les bénéfices réalisés dans les années prospères, elle avait développé ses moyens de production au-delà des besoins de la consommation; il en est résulté l’avilissement de ses produits et un ralentissement de la production; à cette cause sont venues s’ajouter les rapides transformations de l’outillage et des procédés qui ont bouleverse plusieurs industries. Pour n’en citer qu’un exemple, il a suffi de