Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

supporterait une telle anarchie sans tomber dans la guerre civile.

Pour se rendre compte du rôle capital que jouent dans la vie des peuples les chefs d’état, qu’ils s’appellent roi, empereur, premier consul ou président de république, il n’est pas nécessaire de remonter le cours des âges. Reportons-nous seulement à trente ans en arrière : quel était dans le monde, en 1856, le rang de l’Italie, de l’Allemagne et de la France? quelle place occupent aujourd’hui ces mêmes puissances? Les immenses changemens survenus au profit des premières et au détriment de notre patrie, ne sont-ils pas l’œuvre de ceux qui ont conduit la diplomatie et commandé les armées de ces trois nations? Vouloir supprimer la direction supérieure du chef du pouvoir est une chimère dangereuse qui ne peut aboutir qu’à l’affaiblissement d’un pays. s’il m’était permis de faire pour la grandeur de mon pays un double souhait, je demanderais que le chef de l’état prévu par la constitution de 1875 remplît avec succès tout son mandat et je voudrais que l’omnipotence d’une assemblée unique prévalût à Berlin.

Des trois questions sur lesquelles le suffrage universel s’est prononcé, il en est une qui a été résolue suivant ses indications, et il faut féliciter le ministère de s’y être conformé. Il a fait adopter par le parlement le moins mauvais parti pour mettre fin aux expéditions mal engagées au Tonkin et à Madagascar. On ne pouvait pas plus évacuer brutalement des territoires conquis par le sang de nos soldats que renier les emprunts contractés pour ces expéditions ; il ne dépendait pas du ministère d’effacer le passé, et il a cherché à atténuer les sacrifices que cette double occupation entraînera à l’avenir; comment ne pas approuver cet apaisement de la politique extérieure?

La seconde question : celle des rapports de l’état et du clergé, non-seulement n’a pas reçu de solution, mais avec l’esprit qui anime la chambre actuelle, elle ne peut que s’envenimer; elle est appelée à jouer un grand rôle dans les prochains scrutins. Le drame sanglant de Châteauvillain n’est qu’un incident de la lutte engagée depuis plusieurs années; il démontre qu’on ne soulève pas en vain les passions religieuses. La conscience se révolte quand on voit un gouvernement assez faible pour laisser prêcher publiquement le pillage et l’assassinat, ne déployer de l’énergie que pour fermer les chapelles et pour empêcher de prier Dieu ; aussi, faut-il s’attendre à voir se creuser de jour en jour davantage le fossé qui sépare le monde catholique du gouvernement républicain.

Pourquoi a-t-on déclaré la guerre au clergé? De quoi s’agissait-il à l’origine? L’état, qui avait eu le tort, dans les trente dernières années,. de ne pas faire assez de sacrifices pour propager l’instruction