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qui compte tant de glorieux souvenirs et qui, pour effacer de récens revers, n’a besoin que d’avoir à sa tête un chef digne de lui !

À l’intérieur, l’action du chef de l’état n’est pas moins utile; c’est lui qui, au milieu du conflit des intérêts, dominant les partis et les classes, a l’autorité nécessaire pour s’adresser à la raison et au patriotisme du pays. Chaque année, à la rentrée des chambres, il trace à grands traits dans son message la situation de la France, l’état de ses relations extérieures, les problèmes dont la solution importe au grand nombre; il laisse aux chambres et à leurs dociles instrumens, les ministres, le soin d’épurer le personnel, c’est-à-dire de remplacer les fonctionnaires de la majorité disparue par les créatures de la majorité nouvelle, et, pendant que les membres du parlement se consacrent avec ardeur à cette patriotique besogne, le chef de l’état se préoccupe de rendre la justice plus rapide et moins coûteuse, de perfectionner l’organisation des services publics, de n’employer les deniers des contribuables qu’à des travaux productifs destinés à enrichir la nation plutôt qu’à assurer l’élection des députés de la majorité, d’inspirer à tous les fonctionnaires le sentiment de la hiérarchie, d’assurer la sécurité et l’avancement à ceux qui s’acquittent bien de leur tâche.

Je sais qu’en regard de la nécessité du rôle d’un chef d’état, tel que la constitution l’a prévu, il est facile d’opposer les fautes commises de 1852 à 1870. Ce n’était pas le parlement qui dirigeait à cette époque la politique étrangère ; ce n’est pas lui qui a été l’auteur ou le complice de la création sur nos frontières de deux grands empires et de la perte de deux de nos meilleures provinces; aussi, j’ai hâte de dire que pour la prospérité d’un peuple, il ne suffit pas de l’existence d’un chef d’état; il faut que ce chef soit à la hauteur de tous ses devoirs. Aucun texte, aucune constitution ne saurait suppléer à cette condition essentielle de toute autorité. Il faut, en outre, le contrôle du parlement. Si ce contrôle eût été plus efficace, on n’aurait pas sans doute assisté aux événemens qui, pour notre grand malheur, ont bouleversé l’Europe en 1866 et en 1870. C’est aussi parce qu’il a été insuffisant qu’on a pu dans ces derniers temps entreprendre des expéditions militaires et qu’on a laissé créer dans les finances publiques un déficit inconnu jusqu’à ce jour. Avant 1870, les chambres n’administraient ni ne contrôlaient, elles enregistraient. Aujourd’hui, elles ont la prétention d’administrer; elles essaient de se substituer au gouvernement et, tandis qu’elles tentent une œuvre qu’elles ne sauraient remplir utilement, elles n’exercent aucun contrôle sur des actes dont elles sont elles-mêmes les auteurs ou les complices. Avant 1870, on avait un gouvernement sans contrôle, aujourd’hui on n’a plus ni gouvernement ni contrôle ; il n’est pas un autre peuple en Europe qui