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Cette marche désordonnée s’accomplit cependant avec une certaine rapidité. On était parti à midi, et à huit heures du soir la tête de la colonne atteignait Coignières, à trois lieues de Rambouillet. Le général Pajol y établit son quartier général. L’artillerie, composée de six bouches à feu, fut placée à la gauche de la route. Les volontaires, dont on estimait le nombre à près de vingt mille, bivouaquèrent à droite dans les champs et se répandirent dans les environs pour se procurer des vivres à prix d’argent ou autrement. Les voitures furent disposées autour du camp de manière à en former l’enceinte. »

Ce fut à peu près à cette heure que les trois commissaires congédiés le matin un peu brutalement par Charles X, à savoir : M. le maréchal Maison, M. de Schonen, et M. Odilon Barrot, se présentèrent pour la seconde fois aux avant-postes du duc de Raguse, afin de tenter l’aventure et de voir ce qu’aurait produit sur la volonté royale l’approche d’un conflit. M. de Coigny s’était excusé par des motifs qu’il était aisé de comprendre et d’approuver.

Mais, avant de rendre compte de l’accueil qu’ils reçurent et de retracer la dernière journée de l’ancienne monarchie, il est à propos de rappeler que, le même jour, sinon à la même heure, s’ouvrait la première scène de la monarchie nouvelle.

C’était le 3 août. Deux cent cinquante députés environ, un petit nombre de pairs, sans costume, étaient réunis au Palais-Bourbon. Le trône (le trône vacant) était élevé sur une estrade et couvert de draperies semées de fleurs de lis, mais le drapeau qui flottait au-dessus de la couronne royale était tricolore ; trois plians étaient disposés aux côtés du trône. Madame la duchesse d’Orléans, Madame Adélaïde, et les jeunes princes et princesses occupaient une tribune. A la porte du palais, le lieutenant-général fut reçu par les grandes députations venues à sa rencontre. Son entrée dans la salle fit éclater d’immenses exclamations ; il prit place sur le pliant à droite du trône ; son fils aîné, M. le duc de Chartres, était absent, son second fils, M. le duc de Nemours, se tenait à sa gauche. M. le duc d’Orléans salua l’assemblée tout entière en disant : « Messieurs, asseyez-vous! » Nulle distinction entre les pairs et les députés.

Je ne reproduirai point ici son discours ; il est partout. Chaque expression en avait été pesée et discutée contradictoirement avec les ministres officiels et officieux. Je le tiens pour irréprochable ; je tiens qu’il engageait courageusement tout ce qu’il était juste et nécessaire d’engager, qu’il laissait libre plus courageusement encore tout ce qu’il importait de laisser libre et portait la parole au nom de la France, dans un langage digne d’elle. L’honneur de ce discours revient principalement à M. Guizot, mais j’accepte pleinement et de tous points, quant à moi, la responsabilité de l’esprit même