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noyée dans l’insurrection, et entraînée par le mouvement général. Avec le Palais-Bourbon? Mais les députés qui s’y rencontraient ne formaient encore qu’une minorité bien minime, sans constitution légale, une minorité flottante, assiégée, comme la commission de l’Hôtel de Ville, par une foule qui la débordait, s’y mêlait et pénétrait jusque sur ses bancs.

Dans cette perplexité, les députés commissaires nous firent part des nouvelles, plus ou moins fondées, qui paraissaient venir de Neuilly, et de la disposition où la réunion des députés semblait être d’inviter M. le duc d’Orléans à prendre le caractère et le titre de lieutenant-général, afin d’employer l’ascendant manifeste que son nom exerçait sur le gros du public, à rétablir l’ordre, et à rendre possible la discussion des propositions royales.

M. de Mortemart protesta vivement contre cette proposition, c’était son droit et son devoir. On ne pouvait guère, en effet, s’en dissimuler la conséquence probable et prochaine ; mais ce n’était, après tout, que du provisoire, et l’avenir restait en suspens; n’était-ce pas, au contraire, à laisser courir l’événement, une conséquence immédiate et certaine que la proclamation de la république?

La chose était si évidente que M. de Mortemart lui-même ne put se défendre d’avouer que, comme Français, il approuverait cet expédient afin de mettre un terme à l’anarchie, et que c’était en tant que ministre du roi qu’il y résistait. Nous partagions ses appréhensions et ses regrets, mais nous n[avions pas la même obligation de tout risquer et de brûler notre dernier vaisseau. C’est ce que je fis personnellement observer à l’un de mes amis M. de Bastard, et ce qu’il reconnut fort tristement. Nous inclinions donc de ce côté, en désespoir de mieux, et je ferai remarquer, en passant, que MM. de Chateaubriand et Hyde de Neuville, présens à cette entrevue, n’ouvrirent pas la bouche, quand un incident y mit fin, et prévint, de notre part, toute délibération effective.

Un messager expédié à cheval et en toute hâte vint rappeler les députés commissaires sur l’étrange nouvelle que les hostilités recommençaient et que le roi faisait attaquer Versailles. Il s’en suivit une explication où M. de Mortemart protesta vivement contre ce faux bruit, mais les députés commissaires n’en obéirent pas moins au rappel, et se retirèrent avec la pensée que M. de Mortemart était de très bonne foi la dupe de ses commettans.

De notre côté, nous en restâmes là, cherchant sans trouver quelque autre expédient, et nous n’eûmes garde de nous séparer avant d’avoir appris quel accueil aurait reçu M. Colin de Sussy, tant au Palais-Bourbon qu’à l’Hôtel de Ville, et quel effet aurait produit la proposition royale.

En rentrant au Palais Bourbon, les députés commissaires y apprirent