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est extrême, son regard rayonnant est comme inspiré, sa démarche solennelle. On l’entoure, on l’interroge, il garde le silence; il va prendre place dans un coin reculé, et là, replié sur lui-même, étranger à tout ce qui se passe autour de lui, il demeure quelque temps absorbé dans une sorte d’extase... Voyant le ministre et ses conseillers occupés à rechercher les mesures les plus urgentes à prendre, il se rapproche d’eux. « Eh! messieurs, leur dit-il. de quoi vous occupez-vous ? songez avant tout à sauver la liberté de la presse. — Mais le roi, monsieur le vicomte, et la légitimité? — Le roi, la légitimité, je leur suis plus attaché que personne; mais ils ne sont pas en péril. Sauvons la liberté de la presse et, le trône fût-il renversé, je ne demande qu’une plume et deux mois pour le relever. »

L’historien ajoute : « On est peu capable de bien juger les choses dans le monde prosaïque des affaires quand on est exposé à perdre la tête dans les enivremens d’une ovation de carrefour. »

Cette version d’un historien orléaniste se trouve reproduite à peu près intégralement par M. de Vaulabelle, historien républicain, et-par M. Mazas, secrétaire de M. de Mortemart.

J’y puis donner, ce me semble, un démenti positif. j’étais présent; une telle scène m’aurait frappé, à coup sûr, et serait restée dans ma mémoire. Je n’en ai pas gardé le moindre souvenir ; je ne me rappelle rien qui lui ait pu servir même de prétexte.

Mais je demande la permission d’en dire autant de celle que M. de Chateaubriand lui substitue et du discours qu’il lui convient de me prêter généreusement, discours riche en figures, en mouvemens oratoires et, à ce titre, plus digne de lui que de moi. Je ne sais, en vérité, si j’ai placé quatre paroles dans une conversation à bâtons rompus, ou nous étions tous animés des mêmes sentimens et préoccupés du même but; mais ce dont je suis parfaitement sûr, c’est de n’avoir jamais dit que je venais de parcourir tout Paris, que nous étions sur un volcan, que les maîtres ne pouvaient plus contenir leurs ouvriers, que si le nom du roi était désormais prononcé, on couperait la gorge à qui le prononcerait, que nous serions tous massacrés, qu’on prendrait d’assaut le Luxembourg, comme la Bastille en 1789, et quant au discours par lequel M. de Chateaubriand avait foudroyé ce langage, c’est ma faute peut-être, mais je regrette de n’en avoir pas entendu le premier mot.

Il est aisé de tourner les gens en ridicule en les gratifiant de sottises, mais encore faudrait-il que cela eût le sens commun.

« A l’heure où les choses se passaient ainsi, reprend l’historien que nous venons de citer, les députés se réunissaient au Palais-Bourbon, sous la présidence de M. Laffitte... M. Bérard, ayant au début fait le récit de sa rencontre avec M. de Mortemart et annoncé