Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/793

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’était à peu près au même moment qu’enfin le très désiré M. de Mortemart se mettait en route, et la faute n’en était point à lui. Le valet du Joueur, dans la comédie de ce nom, dit en parlant de son maître :


Mais avant qu’il se lève, il faudra qu’il se couche.


Avant que M. de Mortemart arrivât, il fallait qu’il partît. Or, durant ce dernier jour de son règne, ce même Charles X, qui, le matin lui avait quasi mis le pistolet sur la gorge pour le faire ministre, ce même et identique Charles X se refusa mordicus non-seulement à le laisser partir, mais à faire dresser en forme les ordonnances convenues et à les signer. Dans sa méfiance, il avait expédié à la suite de MM. D’Argout, de Vitrolle et de Sémonville le général Alexandre de Girardin et s’obstinait à ne s’engager irrévocablement qu’à son retour. M. de Girardin ne revint pas, du moins ce jour-là. A deux heures du matin, MM. D’Argout et de Vitrolles trouvèrent, en arrivant, tout le monde couché, y compris le roi, et partout les lumières éteintes. Il fallut réveiller cet autre Alexandre, cet autre Condé; M. de Mortemart eut grand’peine à pénétrer jusqu’à lui, et n’introduisit les négociateurs que pour se voir congédié, lui et M. D’Argout. M. de Vitrolles parut seul digne de confiance ; mais son rapport fut tel que le roi céda. Vint alors l’embarras de rédiger les ordonnances ; point de plumes, d’encre ni de papier; on en trouva enfin tels quels, et M. D’Argout, assisté de M. Mazas, homme de lettres attaché à l’éducation de M. le duc de Bordeaux, et de M. de Langsdorff, ami de M. de Vitrolles, qui l’avait amené de Paris, brocha à la hâte cette besogne ; puis, nouveau combat pour obtenir la signature ; ce ne fut enfin qu’au coup de six heures que la voiture d’emprunt chargée de la dernière planche de salut dégringola le long de la rampe de Saint Cloud et se dirigea vers la Porte-Maillot.

Je note ici, à titre de souvenir, que dans le cours de cette journée (29) je rencontrai M. de Girardin chez un de ses amis et des miens ; qu’il nous par la fort au long, selon son usage, de la mission dont il s’était chargé ; qu’il regardait la partie comme perdue à Paris, mais le roi comme décidé à se retirer avec ce qui lui restait de troupes et les renforts qu’il attendait dans les provinces de l’Ouest et du Midi ; il nous fit ses adieux en homme qui s’engage dans une entreprise désespérée.

Rien, néanmoins, n’était encore sans remède, car, à ce même coup de six heures, M. Laffitte, au nom de la commission municipale, offrait à Alexandre de La Borde, nommé la veille préfet provisoire,