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reconduisant à Saint-Cloud le reste de ses troupes ; la capitale entière appartenait à l’émeute ; l’Hôtel de Ville, les Tuileries, le Palais-Bourbon étaient au pillage.

La retraite fut continuellement inquiétée par le mouvement de la banlieue, qui commençait à se prononcer, et par des bandes d’enfans de Paris, ivres de joie et de poudre à canon. On s’est plu à raconter bien des historiettes sur les prouesses de ces gamins ; je ne sais trop ce qu’il en faut admettre, mais en voici une que je puis certifier, l’ayant vue de mes deux yeux.

Il était une heure environ. j’avais passé une partie de la matinée chez M. de Rémusat, qui demeurait rue des Saussaies; je suivais la rue du Faubourg-Saint-Honoré lorsque je vis arriver une compagnie appartenant à je ne sais quel régiment de la garde royale; cette compagnie marchait en bon ordre, l’arme au bras, son capitaine en tête et se dirigeait vers la barrière du Roule. A la hauteur de l’ambassade d’Angleterre, un jeune garçon de quatorze à quinze ans, armé d’un fusil de munition qu’il pouvait à peine soulever, vint se placer au beau milieu de la rue, en face de la compagnie à dix pas environ du capitaine, le coucha en joue, le tira en plein corps, et le manqua, involontairement selon toute apparence, puis n’ayant ni giberne, ni cartouche, posa son fusil sur le pavé et regarda fièrement la compagnie, qui fît sur lui un feu de peloton, et le manqua, volontairement selon toute apparence, puis il se retira au petit pas, en riant, et le capitaine, en riant, fit signe aux soldats de reprendre leur marche.

Mais que se passait-il, en même temps, à Saint-Cloud, c’est-à-dire au dernier siège de la monarchie en déroute? Que se passait-il d’abord à l’hôtel de M. Laffitte, lieu de dernière réunion pour les députés ; puis à l’Hôtel de Ville, quartier général de l’insurrection triomphante ?

En deux mots, le voici : à Saint-Cloud, on se rendait à discrétion. A l’Hôtel de Ville, on faisait, maison nette de la branche aînée.

Dès le grand matin, presque à l’instant où le duc de Raguse arrêtait ses dernières dispositions défensives, après avoir fait distribuer aux troupes une gratification pécuniaire, il vit entrer dans son cabinet deux de ses collègues et des miens, deux membres de la chambre des pairs, à savoir : M. de Sémonville et M. D’Argout. L’un et l’autre, ainsi que je l’ai indiqué, passaient depuis l’avant-veille pour avoir été, de leur chef, à Saint-Cloud, solliciter le retrait des ordonnances; il n’en était rien; c’était, tout au plus, de leur part, un bon projet prématurément ébruité ; mais cette fois, c’était pour tout de bon. Informés, je ne sais par quelle voie, de la présence du ministère au quartier général, ils demandèrent à le voir pour l’éclairer sur l’état désespéré de la capitale. Le duc de Raguse