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Cette dépêche n’arriva point à son adresse et se perdit dans la bagarre, mais le duc de Raguse y trouva réponse implicitement dans l’ordonnance qui mettait Paris en état de siège, ordonnance qui lui fut remise par M. de Polignac lui-même, lequel venait s’établir avec ses collègues au quartier-général et partager moralement la responsabilité du commandant en chef. Dès lors commença cette éternelle stratégie des guerres civiles parisiennes, stratégie qui consiste invariablement à diriger des Tuileries sur l’Hôtel de Ville trois colonnes parallèles, dont l’une suit les boulevards, la seconde la rue Saint-Honoré et la troisième les quais, à charge par elles de renverser tous les obstacles, de bousculer tous les attroupemens qui s’opposeraient à leur marche et de revenir à leur point de départ en rabattant devant elles les disjecta membra de ces attroupemens disloqués.

Tandis que ces trois colonnes opéraient dans ce dessein, la petite réunion des députés poursuivait le sien; M. Guizot se mettait en route avec sa protestation en poche et s’efforçait (ce qui n’était pas autrement facile) d’arriver chez M. Audry de Puyraveau, rue du Faubourg-Poissonnière, c’est-à-dire au cœur même de l’émeute. Je ne l’accompagnai point, n’étant point député : ni l’esprit de corps, ni le point d’honneur ne m’y obligeait ; je n’avais goût ni à l’hôte, ni à l’hôtellerie. j’étais bien convaincu qu’une telle réunion, dominée par l’esprit révolutionnaire au dedans et au dehors, ne serait bonne à rien de bon, ne ferait que rendre de plus en plus impossible tout dénoûment régulier de la situation et de plus en plus inévitable un dénoûment violent dont les conséquences échapperaient à toute prévision raisonnable et à toute conduite sensée.

En arrivant et dès son entrée, M. Guizot eut lieu de s’en convaincre. La réunion était peu nombreuse, bien qu’elle se fût accrue de M. Laffitte et de M. de La Fayette, absens de Paris, mais accourus au bruit de l’orage; elle se tenait dans une salle basse, fenêtres ouvertes, en communauté avec la rue. M. Mauguin y proposait à haute voix la formation d’un gouvernement provisoire, c’est-à-dire la dépossession, voire même la déposition du gouvernement royal ; ce ne fut pas sans peine qu’on lui ferma la bouche et qu’on fit prévaloir sur cette idée saugrenue qui emportait du premier coup toute la boutique, l’idée d’une députation chargée de demander un armistice. MM. Laffitte, Casimir Perier, le général Gérard, le général Lobau et Mauguin furent chargés de s’adresser en ce sens au duc de Raguse.

Ce ne fut pas non plus sans peine qu’on adopta le projet de protestation rédigé par M. Guizot. Il en fallut retrancher toutes les expressions de protocole envers la majesté royale.

On s’ajourna à quatre heures chez M. Bérard pour entendre le