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ne le peut qu’en ralliant autour de lui toutes ces opinions modérées qui, en Italie comme partout, sont la force des gouvernemens, des institutions libres.

Au moment où il y a des affaires sérieuses un peu partout, — en Angleterre, où s’agite toujours la question d’Irlande, en Italie, où les élections viennent de s’accomplir, en Allemagne même, où les débats économiques succèdent au vote de la loi ecclésiastique, l’Espagne est tout entière à un événement attendu depuis quelques mois. La jeune veuve du roi Alphonse XII, la reine régente Marie-Christine, a mis au monde un prince dont la naissance a « été accueillie et est considérée par les Espagnols comme un gage de sécurité publique. Tout se réunit pour donner à cet événement un caractère particulièrement intéressant, et si on a pu souvent dire que l’imprévu règne au-delà des Pyrénées, l’histoire de l’Espagne, depuis quelques mois, prouve du moins que cet imprévu peut tromper quelquefois les mauvais augures.

Lorsque le roi Alphonse XII s’éteignait si prématurément, à la fin de ]’année dernière, il est, certain que l’Espagne se trouvait tout à coup dans une situation critique qui pouvait aisément devenir périlleuse. La princesse chargée à l’improviste du lourd fardeau d’une régence était une étrangère peu connue jusque-là, peu mêlée aux affaires, excitant peut-être quelque ombrage. De plus, l’hérédité restait pour ainsi dire en suspens. 6n ne savait si la jeune infante qui succédait pour le moment à son père resterait définitivement la reine, ou si elle ne devrait pas s’effacer devant le nouveau-né qu’on attendait. L’avenir pouvait paraître assez sombre, tout au moins assez énigmatique. En réalité, le sentiment du péril est peut-être ce qui a sauvé l’Espagne. Le pays ne fut jamais plus tranquille qu’il ne l’a été depuis quelques mois. Tout s’est passé sans accident, sans trouble, dans les circonstances les plus douloureuses et les plus difficiles. La reine Christine, depuis son avènement à la régence, a montré autant de tact et d’intelligence que de droiture. Elle s’est popularisée lorsqu’il y a quelques jours, au lendemain d’une tempête qui s’était abattue sur Madrid et avait fait de nombreuses victimes, elle a tenu à aller elle-même, malgré son état, visiter les malheureux, porter des secours à toutes les misères. C’est justement peu après s’être imposé ces généreuses fatigues qu’elle a mis au monde ce prince, — le premier peut-être dont le règne commence avec la vie, — et dont la naissance a pu être annoncée aux provinces par ce simple mot : « Le roi est né ! » L’hérédité s’est trouvée ainsi fixée. La jeune reine provisoire est redevenue la princesse des Asturies. L’enfant né d’hier est le roi d’aujourd’hui. Il a été bienvenu et acclamé partout dans les provinces comme à Madrid. Les partis ont fait pour un moment trêve à leurs querelles devant ce berceau. Le président du congrès, M. Cristino