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ou trop dédaigneux de ne pas aller vers le monde. Mais ils ne remueraient pas le doigt que les choses iraient exactement de la même manière. Il y a là un entre-croisement ou plutôt un enchevêtrement de causes dont on ne saurait sans injustice rendre les juifs responsables ; et c’est comme si l’on disait que les juifs sont les vrais auteurs de la révolution française, parce qu’en effet ce sont eux surtout qui en ont profité. Après cela, ils sont si habiles qu’ils parviendront peut-être quelque jour à nous le persuader : ils ont même déjà commencé.

Est-il vrai cependant qu’ils jouent un si grand rôle dans le monde, et, comme le pense M. Drumont, comme ils le laissent eux-mêmes entendre volontiers, qu’ils nous conduisent où ils veulent sans que nous le sachions ni seulement le soupçonnions ? A leurs airs de triomphe, on serait tenté de le croire. Mais ce qui me rassure, quand je vois que les choses vont si bien pour eux, c’est qu’ils ne pourraient guère que les gâter en s’en mêlant trop activement ; et je ne devine pas l’intérêt qu’ils y pourraient avoir. J’ai donc peine à croire qu’ils soient les instigateurs de cette persécution religieuse à laquelle nous assistons ; j’ai peine à croire que leur main soit dans toutes ces affaires où M. Drumont croit la reconnaître ; j’ai peine à croire enfin qu’il nous faille voir en eux les jésuites, si je puis ainsi dire, de la libre pensée. Mais quand ils le seraient et quand ils feraient autant de besogne que de bruit, si je regrette l’expulsion des « autres, » ce n’est pas sans doute pour demander la leur, avec M. Drumont. Quoi qu’ils disent et quoi qu’ils fassent, ils sont avec nous citoyens de la même patrie ; et on a le droit de supposer qu’ils essaient, comme nous, de faire triompher leurs idées, que, comme nous, ils n’y épargnent ni leur argent, ni leur intelligence, ni leur activité, mais non pas celui de le leur reprocher, et encore bien moins de leur en faire un crime.

Il conviendrait seulement qu’ayant l’égalité, les juifs ne prétendissent pas la rompre à leur profit et rétablir pour eux le régime du privilège. Humbles, à ce que l’on dit, et même un peu bas dans la mauvaise fortune, ils sont trop arrogans dans la bonne. C’est ainsi qu’ils n’admettent pas que nous parlions légèrement d’eux et de leurs pratiques, mais au moins, quand ils parlent des nôtres, leur faudrait-il eux-mêmes peser leurs mots et mesurer leurs expressions. J’ai cité plusieurs fois la brochure de M. James Darmesteter : Coup d’œil sur l’histoire du peuple juif. Il y a toute apparence que je passerais aux yeux de M. Darmesteter pour un fanatique ou un énergumène si je parlais du judaïsme comme il parle du christianisme. Lui, se croit certainement libéral en accusant cette « hérésie juive » d’avoir,comme il dit, « arrêté la croissance intellectuelle de l’Europe. » C’est un peu comme les protestans, que l’on scandaliserait bien fort si l’on s’avisait de faire célébrer