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d’état qu’a produits l’Angleterre n’a été plus jaloux de l’honneur, de la gloire de son pays et ne s’est occupé avec plus de sollicitude de lui assurer sa place dans les conseils de l’Europe. Ce romancier, qui goûtait les plaisirs d’imagination, tâchait d’en procurer à ses compatriotes; il leur ménageait d’agréables douceurs, des fêtes d’amour-propre, et il les faisait valoir par la façon dont il les préparait. Il avait la science du décor, de la mise en scène, des coups de théâtre et de surprise. Il a terminé sa carrière en donnant Chypre à sa reine et en la proclamant impératrice des Indes ; ces deux affaires furent conduites avec un art ingénieux, où l’on reconnaissait la main de l’auteur de Tancrède.

Hélas! le temps des fêtes est passé, et ce ne sont pas des plaisirs d’imagination ou d’amour-propre que procure en ce moment à nos voisins celui qui fut, durant de longues années, l’illustre compétiteur et le dangereux rival de lord Beaconsfield. C’est une histoire bien connue que celle de ce jeune mirza de Candahar, qui avait eu le malheur de voir la princesse de Cachemire à la foire de Caboul et qui était disposé à négliger ses affaires domestiques, à tout abandonner pour courir après cette incomparable beauté. Il avait deux favoris, qui lui servaient tour à tour de conseillers, de ministres. L’un, nommé Topaze, sage comme un guèbre, lui représentait que c’était folie de sacrifier à une princesse les intérêts de son ménage, qu’au lieu de se lancer dans les aventures, il devait s’occuper de gouverner sa maison et de régler un gros procès qu’il avait sur les bras. L’autre, nommé Ébène, fort joli homme, très empressé, très industrieux, entrait dans tous les sentimens de son maître, flattait ses faiblesses, s’offrait à le servir dans ses amours, et rien ne lui semblait difficile; quand l’argent manquait, il s’ingéniait pour en trouver. Le mirza Rustan s’écriait quelquefois : « Topaze, Topaze, vous avez bien raison! » Mais, dans le fond de son cœur, il préférait à ce visage austère le sympathique et complaisant Ébène.

L’Angleterre est gouvernée aujourd’hui par Topaze, et ce grand homme d’état n’a point d’îles à lui offrir. Toute affaire cessante, il l’engage à s’occuper de son ménage, à régler une question domestique fort embarrassante, fort désagréable, très épineuse, et la solution qu’il en propose est si dure que les Anglais se détournent de ce calice avec un insurmontable dégoût. C’en est fait des douceurs du mardi gras; la politique de M. Gladstone est une vraie politique de carême, et voilà pourquoi, il y a quelques semaines, la primevère était une fleur si fêtée à Londres et dans d’autres cités de la Grande-Bretagne. C’est une vogue qui durera longtemps.


G. VALBERT.