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ministériel effrayé, éperdu, qu’en s’en moquant et en se promettant tout haut de lui passer bientôt sur le corps.

Ce qui compliquait la situation, c’était l’état des affaires en Allemagne, et l’attitude menaçante de la Sainte-Alliance. Je ne puis entrer ici dans aucun détail sur les agitations qui suivirent, dans toute cette grande fraction de l’Europe, la paix de 1815, sur les récriminations mutuelles des peuples et des gouvernemens, sur l’effervescence des universités, le tumulte des associations, ces boutefeu du grand mouvement patriotique de 1813 ; mais toujours est-il que le succès plus apparent que réel de l’esprit révolutionnaire, en France, réagissait au-delà du Rhin, et l’assassinat de Kotzebue, au nom de la liberté, au cri de : Vivat Teutonia ! ayant jeté la terreur dans tous les hauts lieux, la France, son ministère actuel en tête, se trouvait au ban de toutes les cours et de tous les souverains.

Au moment où j’arrivai à Paris, tous les plénipotentiaires de tous les états allemands, grands et petits, se réunissaient à Carlsbad, afin, disait-on, de pourvoir à la sûreté commune. M. de Metternich et M. de Hardenberg s’étaient mis d’accord, quelques jours auparavant, à Tœplitz. On ne savait rien encore de leurs projets, mais l’inquiétude était grande dans notre camp ; elle était au moins égale à celle que nous inspirions et qui ne tarda pas à s’accroître encore.

La réunion des collèges électoraux, en effet, avait été fixée au 11 septembre, et le mouvement des esprits ne promettait rien de bon. Une vacance ayant en lieu dans la Sarthe, Benjamin Constant avait été élu ; ce fut bien mieux, ou plutôt bien pis, si l’on regarde aux conséquences, quand vint l’élection du nouveau cinquième. L’extrême droite ayant fait alliance avec l’extrême gauche, sur cinquante-quatre élections, celle-ci en obtint trente-cinq, celle-là quatre, et le ministère seulement quinze. Grégoire fut élu par une majorité de trente-huit voix dont l’extrême droite lui fit cadeau.

Presque au même moment, on connut à Paris les résolutions arrêtées à Francfort et le terrible protocole qui soumettait, dans toute l’Allemagne, au contrôle de la diète les constitutions des états, le régime des universités, celui de la presse, celui des associations, en armant ce corps du droit d’intervention et en créant dans son sein un tribunal d’inquisition politique.

On apprit enfin que ce n’était pas là tout ; que le congrès s’était ajourné au mois de novembre et devait se réunir à Vienne. On répétait de bouche en bouche, on répétait dans tous les partis, soit à bonne, soit à mauvaise intention, que des explications seraient demandées au gouvernement français sur la marche qu’il se proposait de suivre ; les uns tremblaient de tous leurs membres ; l’espérance éclatait dans les yeux des autres.