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LA CORRESPONDANCE
DE
LORD BEACONSFIELD
AVEC SA SŒUR

La vie de lord Beaconsfield, ou de Benjamin Disraeli, est l’exemple frappant d’une bataille gagnée sur l’opinion publique d’un grand pays par un homme qui, très contesté à ses débuts, conquiert de haute lutte l’estime qu’on lui refusait, triomphe de toutes les résistances et, par son adresse, son industrie, aidée d’une indomptable volonté, finit par s’imposer à la fortune. Personne n’eut plus d’ennemis que lui, personne ne fut en butte à plus d’attaques et de diffamations. Comme le remarque un de ses biographes, on l’a traité tour à tour « d’aventurier, de renégat, de girouette, de fourbe, de finassier et de hâbleur, de romancier saugrenu ou insipide, d’idéologue prétentieux, de charlatan, de magicien israélite, de saltimbanque. » Ses adversaires le vilipendaient, ses amis regimbaient contre l’autorité qu’il osait prendre sur eux. Il avait juré de gagner sa bataille, il l’a gagnée.

Après avoir été le leader du parti tory dans la chambre des communes, on l’a vu chancelier de l’échiquier, puis premier ministre. Quand il revint du congrès de Berlin en 1878, un peuple tout entier se pressa sur son passage, il rentra dans Londres en triomphateur, au bruit des acclamations publiques, et des milliers de bouches le saluèrent duc de Chypre. Trois ans plus tard, il n’était plus ; mais sa popularité s’est encore accrue après sa mort et, dans les circonstances si critiques que traverse aujourd’hui l’Angleterre, on semble chercher des yeux ce grand absent;