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d’eux-mêmes. Dans l’Annam et au Tonkin, la circulation de la monnaie d’argent est destinée à prendre une extension considérable. La Chine aura des emprunts à faire pour les chemins de fer dont elle veut commencer à doter son immense territoire. Le Japon deviendra, lui aussi, en peu de temps, un client sérieux pour les producteurs du métal déprécié.

Une des terreurs de ceux qui voyaient dans le rappel de la loi Bland un véritable cataclysme était que les États-Unis, après avoir renoncé au monnayage forcé de l’argent, ne cherchassent à tout prix à se débarrasser du stock déjà monnayé et à se décharger sur l’Europe du fardeau qui les incommode. C’était une crainte superflue. Nul ne pense à Washington à une vente de ce genre. Si le trésor n’était plus forcé de grossir constamment son stock de monnaies tenues par la défiance du public hors de la circulation, il ne craindrait plus de voir s’évanouir toute sa réserve d’or et d’être soumis à la nécessité de payer les intérêts de la dette en argent au risque de provoquer une crise financière dont le contre-coup porterait atteinte à la fortune politique du parti démocrate. Il attendrait patiemment que le public, rassuré par la suspension du monnayage, absorbât peu à peu le stock momentanément entassé, inutile, dans les caves du ministère des finances.

Ce temps-là ne saurait se faire bien attendre. L’accroissement de la population aux États-Unis n’a pas suivi depuis une dizaine d’années, si rapide qu’il ait été, une progression aussi accélérée que celui des moyens de circulation monétaire. Si le montant des greenbacks, ainsi que celui des billets de banques nationales, est resté stationnaire, le stock d’or, dans les cinq années de 1879 à 1884, s’est élevé de 278 à 585 millions de dollars, et il y a maintenant 225 millions de dollars argent qui n’existaient pas en 1878. Les moyens de circulation surabondent actuellement et dépassent les besoins, par suite d’une longue dépression commerciale dont le pays commence à peine à sortir, par suite aussi du ralentissement dans la construction des chemins de fer. Mais, dans un pays de développement précipité comme les États-Unis, l’équilibre ne peut tarder à se rétablir et tous les instrumens de circulation monétaire trouveront aisément leur emploi. La population était de 50 millions en 1880; elle atteint aujourd’hui très probablement 60 millions. D’immenses territoires ont été, dans ces six années, ouverts à l’immigration, à la culture, à la civilisation. Les fermes, les villages, les villes se multiplient à l’infini. Avant peu ces 200 millions de dollars argent, dont l’existence paraît aujourd’hui si gênante au ministre des finances de l’Union, et si menaçante pour les prix du métal en Europe, auront disparu, immergés dans le grand courant de la circulation américaine.