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en matière monétaire les vues du président et les opinions dominantes dans les régions de l’Est, craignit sérieusement de se voir réduit à la nécessité de payer les coupons de la rente fédérale en dollars d’argent dont le trésor possédait 170 millions. Il exposa la situation aux banques associées de New-York et fît appel à leur concours. Ces établissemens avaient adopté, depuis le vote de la loi Bland, le principe absolu de refuser de leur clientèle tous paiemens en monnaies ou certificats d’argent, et jamais n’en avaient accepté non plus du trésor dans le règlement de leur balance contre lui. Mais ils virent cette fois la situation tellement tendue qu’ils jugèrent prudent de se départir de l’attitude si obstinément maintenue jusqu’alors. Des conférences eurent lieu entre les présidens des principales banques et le représentant du ministre des finances. Elles aboutirent à un arrangement aux termes duquel 20 millions de dollars en or étaient mis par les banques à la disposition du secrétaire du trésor contre une somme égale en monnaie d’argent. L’objet du contrat était de permettre la continuation des paiemens fédéraux en or jusqu’à la réunion du congrès, le gouvernement s’engageant à faire tous ses efforts pour obtenir par voie législative la suspension du monnayage de l’argent.

Cette transaction produisit sur l’opinion publique dans les états de l’Est une impression favorable. On se rassura ; les paiemens des droits de douane s’effectuèrent de nouveau pour la plus forte partie en or, et la gêne du trésor fut atténuée pour un temps. L’incident n’en avait pas moins causé de vives inquiétudes non-seulement en Amérique, mais aussi à Londres, où la seule appréhension des effets que pourrait produire le rappel éventuel de la loi Bland aux États-Unis finit par déterminer en septembre une véritable panique sur le marché du métal argent. Le prix de l’once, qui se soutenait depuis si longtemps avec d’insignifiantes variations aux environs de 50 dollars, se déroba tout à coup et tomba à 47 1/4. On se demandait avec émoi dans la Cité à quelle dépréciation serait exposé le stock de métal argent monnayé qui, dans l’ancien monde, cause déjà tant d’embarras et préoccupe à si juste titre les gouvernemens, les économistes et les commerçans, si désormais les propriétaires des mines du Colorado et des états et territoires du Pacifique étaient forcés de porter sur le grand marché des métaux précieux en Angleterre les cinq millions de livres sterling d’argent en barres que le trésor à Washington ne serait plus contraint par la loi de leur acheter annuellement. Bien des gens pensaient que ce ne serait pas là une surcharge telle, étant donné le stock existant et le montant de la production actuelle de l’argent dans le monde entier, que le prix de la marchandise en pût être affecté dans une mesure si importante. Cette considération,