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À cette démarche extraordinaire M. Cleveland répondit en homme qui avait sur la question des idées très arrêtées et ne tenait point à les cacher; Le président actuel de l’Union n’est point un lettré. On ne trouve dans ses productions politiques officielles ni le nerf et la vigueur des politiciens de l’Ouest, ni l’élégance et la finesse des scholars de Boston. Sa plume est lourde, sa phraséologie compassée, disgracieuse. Il dit néanmoins ce qu’il veut dire, et la gaucherie de l’expression n’enlève rien à la solidité de sa pensée. Dans sa réponse aux signataires de la pétition, M. Cleveland se posa en adversaire déclaré de la loi du monnayage, et annonça son intention d’en poursuivre l’abrogation dans la mesure de ses pouvoirs constitutionnels[1]. Il n’hésitait donc pas à braver, avant même d’être entré en fonctions, les sentimens d’une fraction considérable du parti qui venait de le porter à la présidence. Sa lettre excita en effet de violentes colères dans les rangs de la majorité démocratique du congrès. Mais le nouveau président n’avait aucune raison de ménager les représentans du Nevada, de la Californie, du Colorado, les dispositions électorales de ces régions n’ayant eu aucune part à sa propre élection, tandis qu’il avait tout intérêt à se concilier les

  1. «... L’exécution de la loi du monnayage a rempli tous les caveaux du trésor fédéral de monnaies d’argent qui valent actuellement moins de 85 pour 100 du dollar or (établi comme unité de valeur par la section 14 de la loi de février 1873) et qui, ainsi que les certificats qui les représentent, peuvent être employées pour tous paiemens au gouvernement. Ce fait, joint à l’accroissement constant du stock de ces monnaies, à raison de 28 millions de dollars par an, a eu pour résultat que l’afflux de l’or au trésor n’a cessé de diminuer. Ce qui reste de ce métal n’est plus qu’à peine suffisant pour le paiement de l’intérêt sur la dette des États-Unis et pour le rachat des billets appelés greenbacks. Ce sont là des faits pour lesquels il n’est pas besoin d’argumenter, puisqu’ils n’admettent aucune divergence d’opinions. Ils ont été annoncés dans les rapports officiels de tous les secrétaires du trésor depuis 1878. Ils ont été complètement affirmés dans le rapport présenté en décembre dernier par le secrétaire actuel au président de la chambre des représentans. Ils figurent dans les documens officiels du congrès et dans les archives du Clearing-House, dont le trésor est membre et par lequel passent la plus grande partie des recettes et des paiemens du gouvernement fédéral et du pays.
    « Tel est le danger et il me semble que notre devoir est de le conjurer. j’espère que vous joindrez à moi et à la majorité de mes concitoyens dans la pensée qu’il convient de maintenir en usage la masse de notre monnaie d’or (et non de la chasser) aussi bien que la monnaie d’argent déjà frappée. Cela est possible au moyen de la suspension de l’achat et du monnayage de l’argent. Je ne crois pas que ce soit possible par une autre méthode... La crise financière que l’expulsion de l’or par l’argent précipiterait, venant à la suite d’une si longue période de dépression commerciale, plongerait la population de chaque ville et de chaque état de l’Union dans un trouble prolongé et désastreux. La reprise d’affaires et le réveil de prospérité si ardemment désirés et qui semblent ne devoir plus se faire longtemps attendre, seraient indéfiniment ajournées... »