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dollars argent (près de 750 millions de francs) et 140 millions d’or, dont 40 millions seulement disponibles pour les paiemens fédéraux, et notamment pour le service de la dette, une loi de 1882 ayant décidé que 100 millions de dollars en or (monnaies ou lingots) seraient tenus en réserve pour la garantie du rachat des billets des États-Unis. M. M’ Culloch, secrétaire du trésor à la fin de la présidence de M. Arthur, appréciait dans les termes suivans cette situation : « Il n’y a plus, à proprement parler, de surplus d’or dans les caisses fédérales, et la réserve est sérieusement menacée. Il n’y a pléthore que de dollars argent, pour lesquels il n’y a pas de demande. Si le monnayage de ces pièces et l’émission des certificats ne sont pas suspendus, il est à craindre que l’argent ne devienne en fait, à la place de l’or, notre étalon monétaire. Le danger n’est peut-être pas imminent, mais il est d’un caractère si sérieux qu’il est bon de le prévenir sans délai. Les États-Unis ne peuvent empêcher la dépréciation de l’argent sans l’aide des principales nations de l’Europe. Il est manifeste que la continuation du monnayage ne peut avoir lieu sans détriment pour les affaires en général et sans péril pour le crédit national. »

Au moment où M. M’ Culloch faisait entendre cet avertissement (décembre 1884), le parti républicain voyait s’écouler ses derniers jours de pouvoir. Condamné en première instance par le suffrage universel en 1882, et en appel par le collège électoral présidentiel en 1884, il allait abandonner aux démocrates la Maison-Blanche, comme il avait dû, dix années auparavant, leur abandonner la chambre des représentans. La cause de l’inflationism, du greenbackism et du silverism pouvait-elle revendiquer comme un de ses partisans l’homme que cinq millions d’électeurs venaient d’investir de la magistrature suprême ? Qu’était cet élu de la nation, cet inconnu de la veille, pour qui l’Ouest et le Sud avaient voté de confiance sur la recommandation du grand État-empire et de la convention démocratique de Chicago ? Les silvermen étaient en méfiance contre les vues économiques de cet homme de l’Est, ex-gouverneur de New-York, très suspect de s’être laissé imprégner des préjugés et des partis-pris de la coterie monométalliste, et probablement circonvenu par les banquiers, les négocians, les hommes d’affaires du versant de l’Atlantique voué au culte de l’or. Il fallait savoir à quoi s’en tenir sur ses sentimens à l’égard de la question de l’argent et l’empêcher au moins de sortir de la neutralité. Sans même attendre son installation officielle comme président, ils lui envoyèrent une pétition portant les signatures de plus de cent membres démocrates du congrès, lui demandant de ne pas s’engager, dans son discours d’inauguration, contre le monnayage de l’argent.