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avait reçus en partage, il a gagné les qualités qui manquaient à sa jeunesse et complété celles qui n’avaient pas reçu leur entier développement dans son âge mûr. Qu’il réclame le respect des justiciables pour la justice, qu’il affirme les droits de la France sur l’Afrique française, qu’il demande au pouvoir judiciaire de ne pas toucher à l’aman ou qu’il évoque le maréchal Ney, qu’il commente l’héroïque parole d’un Arabe élevé par des chrétiens ou sa propre harangue pour Orsini, auquel « il avait donné la main dans une suprême épreuve, ne cherchant plus qu’en Dieu, auquel il retournait, le pardon que les hommes n’avaient plus le droit de lui accorder, » notre cœur palpite à la lecture d’un tel chef-d’œuvre. C’est, dans la collection de ses plaidoyers au criminel, le dernier en date, et c’est aussi le dernier mot de son éloquence.

Me Allou, dans un discours à la conférence des stagiaires (décembre 1867), réfute directement cette proposition de Pasquier : « l’advocat doit surtout estre sçavant en droict et en pratique, et médiocrement éloquent, plus dialecticien que rhéteur. » Il l’a surtout réfutée par son exemple. « Je n’ai point tant d’austérité, je le confesse, disait-il au jeune barreau; j’aime la grandeur, l’élégance et jusqu’aux recherches de la parole. » d’un mot, il s’était peint lui-même. On trouve encore, dans les premiers plaidoyers de cet illustre contemporain, quelques réminiscences de l’ancienne école. L’exorde de l’affaire Mérentié (août 1843), l’exorde de l’affaire de Saint-Cyr (novembre 1847) sont jetés dans le vieux moule classique. Mais il a déjà marqué ces premières œuvres de son empreinte et l’on peut appliquer dès lors à ce débutant ce que Cicéron disait d’Hortensius : Erat in verborum splendore elegam, compositione aptus, facultate copiosus. On pouvait déjà pressentir, au portrait d’Edouard Mérentié, ce chef-d’œuvre de grâce et d’élégance qui date d’hier, la plaidoirie pour la Comédie-Française contre Mlle Sarah Bernhardt. Personne, au Palais, n’oubliera le parallèle de l’éblouissante actrice et du petit chanteur italien, dont elle avait si bien joué le rôle, et tout le monde s’y rappelle ce rapide et fin jugement sur les teintes chatoyantes du drapeau porté par un grand journal: « M. X... représente au Figaro ce courant bonapartiste qui circule à travers la rédaction légitimiste du journal, comme le Rhône à travers les eaux du grand lac, sans s’y confondre. * On n’a peut-être pas assez remarqué que ce brillant avocat des grandes causes excellait à dire les petites choses.

Me Allou est le plus abondant de nos orateurs judiciaires. Cette qualité distinctive de son talent a frappé tous ses auditeurs, hors du Palais comme au Palais. Les avocats à la cour de cassation sont forcés, par la nature même des sujets qu’ils traitent, d’enchaîner