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mais je n’eus pas de peine à leur démontrer qu’il était aussi contraire à la réalité des faits qu’à la rigueur du langage de confondre les actes qui préparent simplement au mal avec ceux qui l’exécutent directement et le consomment. Ce premier point gagné, j’avais réduit à la simple complicité la provocation suivie d’effet, ce qui me dispensait de toute définition, en faisant rentrer celle de la provocation, prise au sens général, dans la définition de la complicité telle qu’elle est admise au code pénal ; chaque espèce de provocation particulière trouvait alors sa définition propre dans celle même de chaque espèce de crime ou délit ; puis enfin, lorsque la provocation n’avait pas été suivie d’effet, il suffisait, toutes choses restant au même état, de réduire proportionnellement la peine.

Le procédé logique était inattaquable ; il était si simple, si droit, si bref que, en théorie, il a jusqu’ici tenu bon ; mais son défaut, si c’en était un, étant d’exclure tout arbitraire, il n’y eut d’autre moyen de lui échapper que de le surcharger d’exceptions. C’est à quoi ne manqua pas le conseil des ministres, M. Decazes en tête, ouvrant ainsi la route à ses successeurs qui depuis, d’époque en époque, l’ont largement frayée. Je dois néanmoins cette justice à M. de Serre, qu’il me soutint jusqu’au bout. Sous le nom d’outrages à la morale publique je comprenais, dans ma pensée, non-seulement l’outrage à la morale universelle, non-seulement l’outrage à la religion naturelle, base et sanction de la morale, mais l’outrage à chaque culte particulier, à chaque croyance naturelle ou positive, en la considérant comme objet de respect légitime et légal, comme conséquence d’un droit sacré, celui de chercher la vérité et d’honorer Dieu selon ses lumières et sa conscience. Laissant parfaitement libre toute controverse philosophique, toute controverse religieuse, sous l’unique condition de n’être pas outrageante, c’est-à-dire d’être exprimée dans un langage grave et modéré, j’entendais déclarer contraire à la morale et interdit par l’honnêteté publique tout ce qui dépassait cette mesure, le législateur se tenant pour incompétent à protéger autre chose que le droit de toutes les convictions sincères aux égards et aux ménagemens réciproques. L’intention était juste et sage ; la liberté de discussion, en toutes matières, n’est compatible avec le bon ordre et la paix publique qu’à ce prix ; mais cette idée était difficile à rendre clairement dans la précision aphoristique du langage légal.

Ma rédaction telle quelle, adoptée par le ministère, faute de mieux, fut attaquée presque également par les libres penseurs et par les croyans de toutes les persuasions ; mais elle fut défendue avec habileté par M. Cuvier ; avec autorité par M. Royer-Collard ; et par M. de Serre avec une incomparable éloquence ; elle triompha, mais plutôt de haute lutte, dans les deux chambres, et ne