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toutes ces villageoises sont vieilles, tannées, d’expressions fatiguées, casanières, béates; parmi elles se distinguent pourtant une jeunesse de vingt ans, à l’œil vif, aux chairs fermes, dont le teint ensoleillé éclate de fraîcheur sous le bonnet blanc tuyauté, et une petite fille, joufflue et bouffie, toute gauche dans sa robe verte du dimanche, regardant avec une curiosité impatiente du côté de l’enfant de chœur, en robe rouge, qui longe le banc, de dos, en offrant la corbeille du pain bénit. L’arrangement est d’une simplicité naïve et libre qui fait penser aux primitifs de Flandre ou d’Italie. L’accord sobre et grave des visages brunis, des robes sombres, du mur sali, du gamin éclatant, est soutenu, sans faiblesse, avec une fermeté magistrale. Tous les détails insignifians, inutiles, gênans sont sacrifiés résolument, sans qu’il y paraisse, afin de laisser toute leur valeur expressive aux figures et notamment aux visages. Dans cette église numide, sur ces braves femmes usées par la vie, flotte un doux et salubre parfum de simplicité, de foi, d’honnêteté. Ce n’est pas seulement un observateur et un penseur qui peuvent rendre tout cela ; il y faut aussi la main d’un bon ouvrier : M. Dagnan-Bouveret a fait aujourd’hui sa pièce de maîtrise.

Il ne faudra peut-être qu’un peu d’expérience à un jeune voisin de M. Dagnan, M. Brouillet, à qui de franches études de plein air ont valu récemment une bourse de voyage, pour prendre aussi un rang distingué parmi nos peintres de mœurs populaires. Son Paysan blessé, qu’on rapporte chez lui, est traité dans des proportions trop épiques, non-seulement pour l’intérêt du sujet, mais surtout pour les qualités mêmes du peintre, qui sont le soin, la finesse, la précision. Aussi n’a-t-il pas pu recueillir ni concentrer, d’une façon suffisante, sa lumière trop égale, de façon à bien présenter ses figures, que cette uniformité de grand jour creuse et décolore. Toutefois, si on examine avec attention le groupe principal, on y constate une volonté rigoureuse dans la combinaison des mouvemens, dans l’équilibre des lignes, dans la variété des expressions, dans le dessin du morceau, qui pourraient bien annoncer un artiste de sérieuse valeur. Un autre jeune homme qui avait abordé, avec franchise et bonheur, dans ces années dernières, le problème séduisant de la lumière fraîche dans des milieux clairs, M. Dinet, continue à faire de très curieuses études dans la même direction. Dans la clairière rocheuse où il assied son Vieux Conteur, racontant des histoires à deux petits paysans, la lumière pétille si vivement sur les pierres et les bruyères qu’elle semble presque artificielle, mais il y a beaucoup de vérité et de charme dans les attitudes et les gestes naïfs de ses figures.

L’amour de la lumière calme et expressive, de la lumière bienfaisante