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satisfaits ; mais, avant tout, la vérité. Je regarde notre conduite (et par nous j’entends ici le parti libéral dans ce qu’il a eu de plus honnête et de plus sensé), je regarde, dis-je, notre conduite en ce qui touche le maintien de la loi des élections, et, par suite, le renversement du ministère Richelieu, comme une faute capitale.

Tous, en effet, nous acceptions la restauration, ou par principe, ou par penchant, ou par raison. Il fallait dès lors traiter avec elle, sans humeur, sans dédain, sans impatience, tenir compte de ses côtés faibles, louvoyer, pour ainsi parler, entre ses écueils. Il ne fallait ni s’étonner ni se plaindre de rencontrer dans la maison régnante très peu d’inclination pour le régime constitutionnel : mais c’était une vraie bonne fortune que le roi se crût, pour tout de bon, l’auteur de la charte, et qu’il y mit un amour-propre d’auteur. Il ne fallait ni s’étonner ni se plaindre de trouver l’émigration, — l’émigration du dedans comme celle du dehors, et Dieu sait que cette dernière n’était pas la pire, — de la trouver, dis-je, pétrie de préjugés et de sottises, forcenée de rancunes, ardente à la curée de toutes les bonnes choses de ce monde, demandant tout, réglant tout, brouillant tout, également incapable de rien faire et de renoncer à rien ; mais c’était une vraie bonne fortune d’avoir à la tête du gouvernement un émigré, — un émigré de la vieille roche, sorti en 1789, rentré en 1814, un émigré homme de bien, de cœur et de raison, un émigré, patriote à l’étranger, indépendant à la cour, méprisant la popularité de caste comme celle de faction ; d’un désintéressement à toute épreuve, d’une fidélité à l’abri de tout soupçon ; bon administrateur autant qu’on le peut devenir en pays barbare, modeste sur ce qu’il ignorait, mais tenant bon, en toute chose, pour le bon droit et le bon sens. Pour une restauration, peuple et roi, gouvernant et gouvernés, c’était la perle de grand prix. Il ne fallait enfin ni s’étonner ni se plaindre que, après dix ans de régime révolutionnaire et quatorze ans de gouvernement absolu, il ne se rencontrât, en France, que bien peu d’hommes ayant au cœur l’amour de la liberté, et, dans l’esprit, l’intelligence de ses conditions essentielles ; mais c’était une vraie bonne fortune d’avoir au ministère des hommes appartenant à la France nouvelle et menacés dans leur existence politique par les ressuscites de l’ancienne France, des hommes rompus aux affaires, exercés à tous les détails de l’administration civile et militaire, sous l’œil et la main d’un despote habile et vigilant ; des hommes obligés, bon gré mal gré, de prendre leur point d’appui et leurs moyens d’action dans le régime parlementaire, dans les institutions libérales. Tels étaient M. Pasquier, M. Molé, M. Corvetto, et même, à certains égards, le maréchal Saint-Cyr.

Un tel roi, un tel premier ministre, un tel ministère, il les fallait