Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/592

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

architecture animée et somptueuse, dans des salles de fêtes ou de réunions, sur des voussures ou des plafonds. A plus forte raison ce système produirait les plus déplorables effets si, en dehors du décor mural, on prétendait l’appliquer à la confection de la peinture mobile, grande ou petite, du tableau enfermé dans un cadre. En effet, un tableau vit de sa propre vie ; il peut, il doit contenir une action concentrée ou un spectacle complet. La distribution des lumières, la justesse des formes, l’intensité des expressions, la précision des détails, toutes choses qu’un décorateur, dans certaines conditions, peut exceptionnellement négliger, y joueront toujours le rôle le plus important.

Ces observations, assez banales pour quiconque a l’habitude d’analyser des œuvres d’art, ne semblent pas être venues à l’esprit d’un certain nombre de peintres que le succès de M. Puvis de Chavannes a singulièrement troublés dans leur évolution naturelle. Les concours ouverts par la ville de Paris pour la décoration de salles de mairie destinées à des solennités vivantes plus qu’à des méditations rétrospectives nous en ont fréquemment offert des preuves. Persuadés, d’une part, que l’effet décoratif s’obtenait aisément par la simplification des formes et par l’atténuation des couleurs, et, d’autre part, obligés à chercher presque exclusivement, sous prétexte de vérité, leur inspiration dans des sujets contemporains d’un ordre vulgaire, la plupart des concurrens ont cru trouver le secret du grand style dans l’imitation combinée de M. Puvis de Chavannes, l’évocateur d’anciens rêves, et de François Millet, l’interprète des réalités actuelles. Par malheur, la plupart ne possèdent ni le charme poétique qui voile certaines faiblesses du premier, ni la puissance expressive qui ennoblit les lourdeurs du second ; ils n’ont su prendre à leurs modèles que leur indifférence pour les compositions mouvementées, leur parti-pris de déterminations sommaires, leurs mépris pour les jeux brillans de lumière ou pour les éclats vifs de colorations. De là, dans presque toutes leurs toiles, une immobilité glaciale de figures juxtaposées, un évanouissement mélancolique de toutes les tonalités fortes ou joyeuses, une insuffisance des formes et des modelés qui tendent à nous ramener par degrés rapides à tous les balbutiemens, sinon à toutes les barbaries, de la peinture en son enfance.

Le Salon contient quelques-uns de ces panneaux décoratifs dus à des hommes de mérite, que leur éducation et leurs débuts semblaient devoir mettre à l’abri de pareils entraînemens. M. Ferdinand Humbert était, à l’origine, un coloriste agité et brillant, d’une curiosité étendue et sagace, regardant volontiers chez Delacroix, chez Rubens, chez les Vénitiens, ne répugnant pas, au besoin, à