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sans cause et sans but ; à travers les préoccupations du présent et les souvenirs du passé, il avait la frivolité et l’étourderie du jeune âge ; il jouait, en quelque sorte, avec la vie comme un écolier échappé des bancs du collège, et pourtant, sur ce front chargé de rides, dans ces yeux presque éteints, à travers le délabrement de ces traits flétris, on voyait traverser, par éclairs, les idées élevées du philosophe, les pressentimens sérieux du protestant, — un peu latitudinaire à la vérité, — sans que rien parût le satisfaire assez pour s’y arrêter.

Tout autre était l’ami de Diderot, le contemporain et le concitoyen de Lavater, M. Meister, habitué des salons de Paris au temps de M. Necker, disciple assidu des philosophes qui les fréquentaient. Retiré à Zurich, son pays natal, depuis le jour où la révolution les avait fermés, il y cultivait les lettres avec l’ardeur et la persévérance d’un homme au début de sa carrière. Lorsque je l’ai visité, et ce ne fut qu’une seule fois, il venait de relire d’un bout à l’autre, avant de dire adieu au monde, ses classiques grecs et latins. Ses principes philosophiques tenaient bon, mais son neveu et son héritier, M. Hess, l’un de mes bons amis, gagnait du terrain contre eux petit à petit. Il y avait loin, cependant, de Diderot à Zwingle, dont M. Hess écrivait alors pieusement la vie. Je ne sais jusqu’à quel point, en définitive, le rapprochement s’est opéré. Je me rappelle ces trois vieillards avec un intérêt doux et mélancolique, en remerciant Dieu, après quarante ans, d’avoir ménagé à ma vieillesse de meilleures consolations.

Tandis que je passais ainsi mon temps au bord du Léman, voyant mes amis, cultivant de nouvelles connaissances, travaillant à loisir, mais avec ardeur, de nouveaux événemens se préparaient en France et ne devaient pas tarder à m’y rappeler.

L’occupation étrangère ne devait pas dépasser cinq ans ; elle pouvait être abrégée d’un commun consentement. Le 25 septembre, les souverains alliés, réunis à Aix-la-Chapelle, furent appelés à en délibérer. M. de Richelieu ayant répondu de la France, s’étant en quelque sorte porté garant de l’état des esprits et des affaires, ayant souscrit, au nom de la France, l’engagement d’acquitter, à diverses séries d’époques fixes, ce qui restait dû des diverses contributions de guerre imposées au vaincu, il fut décidé qu’à dater du 30 novembre au plus tard l’évacuation serait opérée, résolution qui fut consignée dans différentes notes et consacrée par une déclaration solennelle. Mais, presque au même instant, les élections nouvelles semblaient donner un démenti à la confiance qu’inspirait la parole de M. de Richelieu ; elles furent plus vives encore que celles de l’année précédente. M. de La Fayette fut élu dans la Sarthe, Manuel dans la Vendée ; M. Ternaux ne l’emporta que d’un petit