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la furie d’indignation de la petite ville de province dont on trouble les habitudes. Ce fut un ouragan de paroles où les religieuses de l’Incarnation ne s’épargnèrent pas. On jasait, pérorait, commérait, commentait, discutait, critiquait, on s’indignait, on levait les bras au ciel et on se regardait. Le père provincial s’ennuya de ce tapage ; il ordonna aux deux amies de renoncer à leur dessein. Avila respira et se rendormit. Sœur Thérèse en abusa. Doucement, discrètement, elle fit solliciter une autorisation à Rome. Un prête-nom acheta une petite maison pouvant contenir une douzaine de religieuses et la mère Marie-de-Jésus fournit ses lumières, qui n’étaient pas petites. La mère Marie-de-Jésus était une religieuse de famille noble, qui ne savait pas lire. Ayant eu aussi l’idée de fonder un couvent, elle était bravement partie pour Rome, à pied, afin de se mettre en règle. Elle en était revenue si versée dans les paperasses et formalités, que ce fut elle qui expliqua à sainte Thérèse les constitutions que celle-ci avait sous les yeux, et qui lui évita les bévues.

La permission de Rome arriva en juin 1562. Sœur Thérèse alla s’installer sous un prétexte dans la petite maison, y mit des grilles, et la nomma Saint-Joseph. Le 24 août, au matin, quatre filles gagnées à ses idées vinrent la joindre et reçurent l’habit des mains d’un prêtre. La cérémonie à peine terminée, la nouvelle vola dans Avila : « Une soudaine apparition des Maures, raconte un témoin oculaire, n’y eût pas produit plus de rumeur. » La population sortit sur les places et dans les rues, les boutiques et les maisons se fermèrent, un bruit d’émeute s’éleva et grandit. La prieure de l’Incarnation, où l’on était sens dessus dessous, se fit ramener sœur Thérèse à travers la foule excitée, la reçut comme une criminelle et la remit dans sa cellule. Les jours suivans furent encore plus tumultueux. Le peuple demandait à grands cris la destruction du nouveau couvent. Le corrégidor se rendit à Saint-Joseph avec une escorte, trouva les quatre novices derrière leurs grilles et se retira intimidé. Il repartait pour démolir tout de bon le couvent, quand un moine harangua la foule, la calma et gagna du temps.

Tant d’émoi pour quatre novices de plus ne laisse pas de surprendre dans un pays où, d’après l’historien Leti, un quart des adultes étaient gens d’église. Les Avilais, quand ils prenaient ainsi le mors aux dents, étaient à cent lieues de se douter de l’importance de l’événement qui venait de s’accomplir. Leur colère venait de l’idée qu’il faudrait peut-être faire l’aumône à Saint-Joseph. Leur imagination de méridionaux aidant, ils se voyaient tous ruinés par ce petit couvent de plus. Grâce au moine, il n’y eut pas de violences, mais la ville fit un procès à doña Thérèse de Ahumada pour