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« (L’âme), écrit-elle, tombe dans une sorte d’évanouissement. Elle ne pourrait alors, sans beaucoup de peine, remuer seulement les mains. Les yeux se ferment, sans qu’elle veuille les fermer ; si elle les ouvre, elle ne voit presque rien. Elle entend sans comprendre ce qu’elle entend. Elle est incapable de former une parole et de la prononcer. »

Ces crises la laissaient « brisée et accablée de lassitude. » Elle dit encore : « j’ai été quelquefois réduite à une telle extrémité, que j’avais presque entièrement perdu le pouls... De plus, mes os se séparent et demeurent déboîtés ; mes mains sont si raides, que souvent je ne puis les joindre. Il m’en reste souvent jusqu’au jour suivant, dans les artères et dans tous les membres, une douleur aussi violente que si tout mon corps eût été disloqué. » Cela dura ainsi de longues années et, la merveille, c’est que la « petite femme » ou la « petite vieille » comme elle dit en parlant d’elle-même, garda l’esprit sain jusqu’à son dernier soupir. La ménagère profitait des communications de son autre moi avec le ciel pour en tirer des renseignemens pratiques, le chargeant, par exemple, de lui procurer un patron de bonnet pour les nouvelles carmélites, commission qui fut faite.

De ces étranges états d’esprit, de ces bizarres mélanges de préoccupations, se dégageait un mysticisme transcendant dont on trouve l’analyse subtile dans les œuvres de sainte Thérèse, particulièrement dans sa Vie, écrite par elle-même, dans le Chemin de la perfection et le Château intérieur. Nous n’essaierons pas de la suivre et d’expliquer en quoi l’oraison mentale diffère de l’oraison de quiétude et celle-ci de l’oraison d’union, ou par quels degrés l’âme s’élève de la première demeure spirituelle à la septième, où « les trois personnes de la très sainte Trinité se montrent à elle avec un rayonnement de flammes. » Nous nous contenterons de faire remarquer au lecteur, afin de rendre ce qui va suivre compréhensible, que le mysticisme peut avoir deux sources, l’imagination et le sentiment. Le mysticisme qui est tout entier dans l’imagination la surexcite prodigieusement et mène d’ordinaire à la folie. Celui qui provient surtout du sentiment et qui s’épanche en élans de tendresse passionnée laisse la tête plus calme; il n’est pas rare de le rencontrer joint à une haute raison et à un sens pratique incomparable. Sainte Thérèse va en être un exemple.

C’est en 1560 que lui vint l’idée de fonder une maison de carmélites où l’on vivrait selon la règle primitive. Une amie à qui elle s’en ouvrit promit quelque argent. Au premier mot qui leur échappa de leur projet, tout Avila prit feu contre ces deux brouillonnes, avec