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Aussi bien, durant les mois de janvier et de février, je ne fus guère disponible.

J’avais, ainsi que je l’ai indiqué plus haut, laissé à Coppet ma femme et Mlle Randall, déjà malade et souffrant cruellement d’un rhumatisme à la jambe. Le mal s’étant un peu calmé, elles se mirent en route l’une et l’autre ; mais le voyage ayant produit l’effet qu’on aurait peut-être pu prévoir, ma pauvre femme et sa pauvre compagne s’étaient trouvées arrêtées tout court à Dijon, où le mal était devenu une vraie maladie, une maladie sérieuse, et qui, plus d’une fois, menaça des dernières extrémités. On peut juger quelle était ma perplexité, dans l’alternative de laisser mes enfans à l’abandon et la maison en désarroi, ou de laisser ma femme seule à Dijon, dans une auberge, veillant la nuit comme le jour au chevet d’un vrai lit de douleur, et menacée du pire, d’instant en instant.

Je ne puis parcourir, après tant d’années, les trente ou quarante lettres que nous échangeâmes pendant ces deux mois, sans un douloureux souvenir. Chaque matin, je recevais le bulletin de la veille; chaque matin, je courais chez Lerminier, alors notre médecin, j’en rapportais et j’en expédiais une consultation quotidienne. j’insistais pour partir, ma femme s’y refusait obstinément, soutenant, de l’avis des médecins, que mon arrivée, en alarmant la malade, aggraverait son état. Mme de Sainte-Aulaire s’était offerte pour me remplacer, puis Mme Guizot; même refus par le même motif. Ce ne fut que lorsque tout danger fut passé, lorsque la convalescence approchait, que la malade faisant difficulté de se laisser transporter, j’arrivai, comme un Deus ex machina, pour l’enlever et la conduire à Paris, jour et nuit, sans descendre de voiture et à tout risque. Le coup de tête réussit, et nous nous trouvâmes enfin réunis, clopin dopant, sans plus d’aventure fâcheuse.

Heureusement pour moi, durant le cours de ces deux mois, il n’intervint dans la chambre des pairs aucune discussion dont j’eusse à me préoccuper, mais c’est ici le moment de noter qu’au 1er janvier de cette année 1828, parut le premier numéro du journal doctrinaire par excellence, à savoir la Revue française, entreprise placée sous la direction suprême de M. Guizot, et alimentée presque exclusivement par notre petit bataillon et ses affidés. Ce fut notre manifeste, et, comme nous ne manquions, à cette époque, ni de bonne opinion de nous-mêmes ni d’espérances dans un avenir prochain et sans trop de limites, il ne manquait pas d’outrecuidance. C’était, tout au moins, notre Edinburgh Review, et nous étions les whigs de notre pays et de notre époque. Je payai mon tribut à ce premier numéro en y insérant, à propos des événemens de Grèce, un article assez étendu sur la piraterie, article qui posait, sur cette