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Goodrich par un autre tory à peu près aussi libéral et s’était adressé à mon excellent ami lord Harrowby; mais le bon lord était trop vieux routier, il était trop au fait des allures des partis pour se laisser prendre à l’appât d’une succession aussi embrouillée. Il fallut donc, après quelques tâtonnemens, trancher au plus vif et se remettre, bon jeu bon argent, entre les mains du duc de Wellington. C’était donner congé aux whigs modérés; c’était introduire, sous le drapeau de leur chef naturel, les tories de la vieille roche ; en un mot, c’était changer du blanc au noir la direction du cabinet; les tories libéraux, au lieu d’en être l’élément conservateur, en devenaient l’extrême gauche et n’y tenaient plus que par un fil.

Tout ce revirement ne nous valait rien, à nous, dis-je, en tant que parti, et moins encore à notre ministère novice. Il était clair qu’au lieu de s’appuyer l’un sur l’autre, comme nous l’espérions, les deux gouvernemens d’Angleterre et de France allaient tirer en sens inverse, peut-être même tirer l’un sur l’autre. Qu’allait devenir notre œuvre commune, ce pauvre petit royaume de Grèce, nouveau-né, ce fils de bonne mère, imposé, en quelque sorte à l’indifférence vulgaire du ministère Villèle, à l’ambition cauteleuse de la Russie et à l’humeur bourrue de John Bull, par l’enthousiasme classique et juvénile de l’opinion française et par les instincts généreux de M. Canning? Qu’allait devenir ce traité du 6 juillet auquel lord Wellington lui-même avait prêté sa griffe, bien qu’en rechignant?

Nous ne tardâmes pas à le savoir.

Les deux discours du trône (je parle toujours l’argot politique de notre temps) furent prononcés à Londres et à Paris, à moins de six jours l’un de l’autre. Il était impossible d’y passer sous silence le combat de Navarin, livré en l’honneur du susdit traité, faute de quoi il serait resté lettre morte et bientôt devenu objet de risée.


Voici comment s’exprimait, à ce sujet, le 29 janvier, le roi de la Grande-Bretagne :

« Pendant qu’on poursuivait les mesures adoptées afin d’obtenir les résultats qui étaient l’objet du traité, une collision tout à fait inattendue a eu lieu entre les flottes des puissances contractantes et celle de la Porte ottomane.

« Malgré la bravoure dont on a fait preuve dans cette occasion, Sa Majesté sent une profonde affliction que ce combat ait eu lieu avec les forces navales d’un ancien allié, mais elle conserve les plus grandes espérances que ce fâcheux événement ne sera pas suivi d’autres hostilités. »