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attachant. Son âme était candide et élevée, sa disposition affectueuse et modeste, sa mémoire riche en souvenirs, si l’on peut ainsi parler sans tautologie ; il avait une tendresse d’âme pénétrante et qui s’alliait avec une verve de sarcasme tout à la fois ingénue et piquante : on l’appelait le « mouton enragé. »

Les jeunes doctrinaires qui se sont depuis fait tous un certain nom dans les lettres ou la politique, se groupaient alors derrière M. Charles de Rémusat, le princeps juventutis de l’époque, l’esprit le plus richement doué par la nature que j’aie jamais connu, et derrière M. Germain, le beau-frère de M. de Barante, homme de cœur et de raison, qui promettait beaucoup, et qui nous a été trop tôt enlevé.

Les plaisanteries, ainsi que je l’ai dit plus haut, les quolibets pleuvaient sur le parti doctrinaire ; royalistes et libéraux, petits journaux et gros pamphlets s’en donnaient à cœur-joie. Pour y couper court, M. de Rémusat imagina de s’emparer de ces plaisanteries et de les pousser à outrance, afin de mettre les rieurs de notre côté, en nous exécutant de bonne grâce. Il composa, et chanta, de salon en salon, une chanson parfaitement drôle, que tout le monde se prit à répéter en riant, et qui, je l’espère, ne sera point perdue, bien qu’elle n’ait été imprimée nulle part. Je n’en ai retenu que ce peu de vers qui peuvent en donner quelque idée.

Aujourd’hui tout le monde pense.
En y pensant, je me suis dit :
D’un parti chacun est on France ;
Il m’en faut un grand ou petit ;
Or, il en est un fort paisible,
Qui daigne m’ouvrir sa maison :
C’est un parti très peu visible,
Et presque un être de raison.
Avant-hier, quelqu’un m’y présente,
Le parti s’était attroupé ;
Toute la faction pensante
Se tenait sur un canapé.
— Nos Majestés sont décidées,
Dit le doyen, je vous admets ;
Sous la garde de nos idées
Venez placer vos intérêts ;
Mais en suivant notre bannière,
Souvenez-vous de parler haut ;
Répandez partout la lumière,
Sans âtre plus clair qu’il ne faut.
Faites de la métaphysique ;
Tous les matins exactement
Abstenez-vous de la pratique
Toute l’année étroitement.