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position personnelle dans la mêlée qu’en transcrivant mot pour mot un fragment de la seconde lettre que j’écrivais à Coppet trois ou quatre jours après mon arrivée dans la capitale.


« Une des choses qui me fait le plus désirer votre arrivée et regretter votre absence, c’est l’état précaire de nos affaires. j’ai pris soin d’éviter toute conversation quelconque avec qui que ce soit qui s’en mêle activement. Je n’ai vu en particulier ni Pasquier, ni Molé, ni M. de Talleyrand ; ainsi que je vous l’ai mandé même, j’ai laissé M. Royer-Collard me faire toutes les avances, je me suis tenu isolé du mouvement politique autant qu’il m’a été possible ; aussi, jusqu’à présent on ne pense guère à moi et je me tenais pour tiré d’affaire, lorsque, avant-hier, en rentrant chez moi, après avoir passé une partie de la matinée au bureau du Globe, où. Duchâtel faisait un cours d’économie politique, on m’a dit que M. Royer-Collard était dans ma chambre et m’attendait et qu’il était déjà venu deux fois ; il était cinq heures trois quarts ; nous n’eûmes qu’un instant de conversation et seulement pour convenir que nous nous reverrions le lendemain. Hier, nous avons causé près de deux heures ; les détails de cette conversation ne sont pas de nature à pouvoir vous être envoyés par la poste, mais en voici le résultat. Il y a pour lui deux chances : l’une d’entrer au ministère avec Chateaubriand en s’ajoutant au ministère actuel et en s’adjoignant Pasquier et Laine ; cette chance possible, car rien de positif ne lui a encore été offert, il la rejette absolument, au grand déplaisir de ceux qui pourraient la courir avec lui ; il ne veut à aucun prix compléter aucun ministère. L’autre, c’est qu’en désespoir de cause et ne pouvant se passer de lui pour la chambre des députés, le roi lui délègue le soin de former un ministère, sauf à reprendre alors dans celui qui existe ce qui pourra être utile. Cette chance très éventuelle, à laquelle le roi n’arrivera que s’il ne peut pas faire autrement, est la seule qu’il accepte. Jusque-là je n’avais rien à dire, puis il a ajouté qu’il a signifié à tous ceux qui lui en ont parlé qu’il mettait pour condition sine qua non mon entrée avec lui et que cette condition avait été agréée par tous ceux à qui il l’avait signifiée, que plusieurs même avaient été au-devant. Je lui ai présenté alors une série d’observations très fondées, à mon avis, dans l’état présent des affaires et d’autres considérations relatives à ma situation personnelle ; il les a pesées, en a reconnu quelques-unes, mais il a ajouté affirmativement :

— Tout ce que vous voudrez, mais je n’entrerai pas sans vous.

— Comme rien ne vous est proposé, lui ai-je dit, et surtout comme la seule hypothèse où vous puissiez accepter n’a rien de vraisemblable, ce n’est pas la peine de nous épuiser en raisonnemens.