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voter cette loi pacificatrice, et ces récens débats ont été précédés de la communication d’une note toute conciliante du cardinal Jacobini, qui s’est plu à lever à propos les dernières difficultés en rendant concession pour concession au tout-puissant chancelier d’Allemagne. Le vote a réuni presque tous les partis, sauf les nationaux-libéraux, qui ont tenu à protester jusqu’au bout, et cette guerre de dix ans se trouve ainsi terminée. — Eh quoi donc ! dira-t-on, M. de Bismarck lui-même biffe d’un trait de plume, de sa propre main, ces lois de mai pour lesquelles il a tant combattu autrefois, qu’il a imposées un jour comme des lois de salut pour l’empire ! Il va décidément à Canossa après avoir déclaré si haut qu’il n’irait jamais ! En vérité, M. de Bismarck n’y regarde pas de si près et ne se laisse pas lier par des mots ! Il consulte l’intérêt du moment, il cherche le bien de l’état, et si on croit l’embarrasser avec le souvenir de quelque boutade oratoire, il répliquera lestement qu’on lui fait suivre quelquefois des chemins bien autrement pénibles que celui de Canossa. il se charge sans façon de l’oraison funèbre de ces lois de mai auxquelles on voudrait l’enchainer, « qui ne sont pas plus qu’une ruine. » Le chancelier ne craint nullement de faire sa confession tout haut, il la fait sans détour, sans scrupule et sans embarras.

Ce n’est pas d’aujourd’hui d’ailleurs qu’il est sur le chemin où on lui reproche de s’engager. Il n’y a que quelques jours, il prononçait un discours où il racontait que, peu d’années après le vote des lois de mai, il en était déjà à chercher les moyens de rétablir la paix, qu’il avait ouvert des négociations avec un nonce à Munich, qu’il les avait continuées à Vienne. C’est l’avènement de Léon XIII au pontificat qui a décidé la question et préparé la solution. Un pape modéré, pacificateur, c’était une bonne fortune pour M. de Bismarck, qui aurait difficilement plié son orgueil à paraître rendre les armes devant le centre catholique, devant un parti parlementaire, mais qui a trouvé tout simple d’aller droit au Vatican, de traiter avec le chef de l’église. De la toute cette stratégie des dernières années et ce travail souvent démenti, quelquefois interrompu, toujours repris et poursuivi avec un persévérant désir de rapprochement ; de là ces relations toutes nouvelles avec le pape, dont M. de Bismarck se plaisait récemment encore à relever l’autorité en lui demandant sa médiation dans l’affaire espagnole, dont il parle aujourd’hui dans ses discours avec une confiance toute cordiale. Que le pape Léon XIII, par son esprit, par sa modération, par ses vues généreuses et conciliatrices, ait offert à M. de Bismarck l’occasion de l’évolution qu’il méditait, c’est assez apparent ; mais il est bien clair aussi que le chancelier n’a fait que ce qu’il voulait, que, s’il a changé de politique dans les affaires religieuses, ce n’est pas uniquement pour complaire à un habile pontife. Il a eu ses raisons personnelles, qui sont les raisons d’un homme d’état supérieur,