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aujourd’hui dans la conduite que suivront M. Chamberlain et ses amis, qui se sont déjà séparés du ministère. M. Chamberlain n’admet pas un système qui rompt tout lien entre les Irlandais et l’Angleterre ; il prétend que l’Irlande doit continuer à avoir sa représentation à Wetsminster. M. Gladstone, par lui-même, ne serait pas éloigné de faire cette concession à M. Chamberlain ; mais s’il la fait, il risque de s’aliéner M. Parnell et ses Irlandais. C’est pour cela sans doute qu’en habile tacticien, il a demandé qu’on se bornât à ne voter aujourd’hui que le principe de ses projets ; c’est aussi pour cette raison que lord Hartington combat le vote sommaire et demande l’ajournement à six mois. Ce qui ajoute à la gravité de cette situation, c’est que, dans une partie de l’Irlande, dans l’Ulster, les Anglais menacent de s’armer pour leur défense si les bills sur lesquels le parlement va se prononcer sont votés. En sorte que tout est obscurité et que M. Gladstone, dans son ardeur réformatrice, joue en vérité une grosse et périlleuse partie.

Un des plus curieux spectacles est certainement celui de ces hommes faits pour gouverner leur pays aux prises avec les redoutables problèmes que les circonstances leur imposent ou qu’ils se créent quelquefois à eux-mêmes. M. Gladstone, un peu de son propre mouvement, un peu sous la pression des choses, se jette audacieusement et entraîne avec lui l’Angleterre dans une crise des plus hasardeuses. M. de Bismarck est depuis longtemps accoutumé à étonner l’Allemagne et l’Europe par les hardiesses de sa politique, par ses expériences comme par ses évolutions. Les deux chefs, il est vrai, ne procèdent pas tout à fait de même., L’un agit en ministre libéral qui peut se tromper, qui du moins se tromperait généreusement en prétendant faire cesser une oppression séculaire : l’autre procède en politique de calcul, qui ne s’occupe que de ce qui est utile à ses desseins, sans s’inquiéter de se mettre en contradiction ou de paraître se désavouer.

C’est une justice à rendre à M. de Bismarck. Dès qu’un intérêt, qu’il croit réel et sérieux, lui apparaît distinctement, il met toutes les ressources de son génie à le défendre ; il marche obstinément à son but sans s’arrêter aux difficultés et aux résistances. Il ne craint pas au besoin de revenir sur ses pas, de changer de tactique, sinon de système, et c’est ainsi qu’après avoir engagé, il y a treize ans, la Prusse dans une violente campagne contre les catholiques, il la ramène aujourd’hui de sa main puissante à la paix avec l’église, avec le saint-siège. Cette paix, qui n’est que le dernier mot de longues, de laborieuses et délicates négociations avec le Vatican, peut être considérée désormais comme signée. Il y a déjà quelques semaines, la chambre des seigneurs de Prusse l’a consacrée en adoptant, après des discussions prolongées et souvent interrompues, une loi qui est comme la charte des nouveaux rapports de l’état et de l’église. Hier encore la chambre des députés de Berlin, le Landtag, à son tour, a achevé de