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et c’est tout : ce Shakspeare, décidément, plus que n’importe quel auteur de féeries, se moque du bon sens, de la logique et du spectateur !

La version de M. Paul Meurice invitait M. Porel à choisir, pour Obéron et Titania, des acteurs majestueux, et ces acteurs à garder leur majesté ; et cela n’a pas manqué. M. Paul Mounet semble un Obéron du Puget ; il joue en monarque du répertoire. Mlle Weber, avec sa voix rauque de jeune faubourienne tragique, conserve une dignité qu’on a vue rarement sous une perruque de marcheuse de féerie. MM. Amaury et Monvel, faisant Lysandre et Démétrius, ont cru devoir se poursuivre et s’invectiver avec le sérieux d’un Achille et d’un Hector. Il est fâcheux que, pour le rôle de Bottom, on n’ait pas fait venir quelque Bobèche du Châtelet ou de la Gaîté, mais M. Saint-Germain, qui est trop simple, fin et malicieux ; et que, pour remplir le maillot de Puck, on n’ait pas trouvé quelque gauche et lourdaude figurante, mais Mlle Cerny, qui est gracieuse et agile : l’un et l’autre déparent l’ouvrage.

Il y avait une fois un papillon, merveilleusement joli, que plusieurs personnes avaient rencontré dans leurs promenades, et dont tout le monde avait entendu l’éloge. Un dompteur annonça que, par admiration, il l’avait pris et le montrerait dans sa baraque. Un papillon dans une baraque ! Cela inquiéta tout de suite les gens qui le connaissaient. Or il arriva, pour comble d’infortune, que le dompteur, ayant manié le papillon avec de gros doigts, avait fait tomber la poudre de ses ailes ; et que, lui ayant donné on ne sait quelle drogue, il avait épaissi son corps jusqu’à en refaire une chenille. Le papillon n’eut pas de succès.

Moralité : « Mieux vaut un sage ennemi que M. Paul Meurice, » dit La Fontaine à Shakspeare, dans les champs Élysées de M. Renan, pour lui donner une consolation en échange d’un compliment sur l’heureuse reprise de la Coupe enchantée à la Comédie-Française.

Au fait, je ne puis aujourd’hui que signaler cette reprise de la Coupe enchantée ; — celle du Misanthrope, avec M. Worms, applaudi dans le rôle d’Alceste ; — celle de Patrie ! le drame justement illustre de M. Sardou, à la Porte-Saint-Martin ; — celle du Beau Léandre, l’exquise parade de M. de Banville, jouée à l’Odéon, avec David Téniers, un ingénieux acte en vers de MM. Noël et Pâté ; — la nouveauté en vogue, le Bonheur conjugal, une fort agréable comédie-vaudeville, de M. Albin Valabrègue, au Gymnase ; — et une originale petite pièce d’un auteur neuf, M. Valdagne, Allo ! allo ! sur la scène du Vaudeville… Je reviendrai volontiers, si l’été n’est pas encombré plus que d’ordinaire, à quelques-uns de ces sujets ; mais aujourd’hui… « Amener un lion parmi des dames est une chose à redouter, disait Bottom ; et nous ferons bien d’y regarder à deux fois. » C’est de même une chose grave d’introduire Shakspeare dans un article de Revue.


Louis GAJSDEBAX.