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dernier acte, le moins riche, on peut ne retenir que la fine mélodie d’Elisabeth : C’est un rêve ; le tour en est piquant et le sentiment délicat. Mais, sauf certains passages un peu vulgaires, le premier acte est plein de musique, écrit dans le meilleur style de l’opéra comique français. Le duo d’Elisabeth et de son amie est charmant, plein d’aisance et de souplesse ; la petite chanson du Roi Richard a juste la nuance d’archaïsme qui convient. Le trio de Falstaff et des deux jeunes femmes masquées est, de tout point, excellent : il pétille, il mousse comme un trio de Rossini. Et, lorsqu’au milieu du morceau, la reine et la suivante intriguent à plaisir le galant majordome, comme le dialogue vocal est joliment jeté, par notes vives, sur la spirituelle mélodie de l’orchestre ! Voilà de ces causeries musicales où notre école française a toujours excellé.

J’aime les deux airs bachiques de Shakspeare, le second surtout, où la légèreté des harpes fait ressortir la crânerie de la chanson. Les buveurs du Nord ont l’ivresse un peu âpre. Shakspeare boit déjà comme boira un jour Hamlet. Malgré les instances d’Elisabeth effrayée, il s’enivre avec rage ; mais bientôt il chancelle, il tombe, et lentement, par une dégradation très bien nuancée, le refrain meurt d’abord sur ses lèvres endormies, puis, dans les dernières réponses de l’orchestre. Relevons encore, dans ce premier acte, le cantabile d’Elisabeth auprès de Shakspeare endormi, la grâce furtive du finale, et surtout, la très belle mélopée de Shakspeare rêvant aux jours de son enfance. Des deux ou trois morceaux écrits par M. Thomas pour la reprise actuelle de l’ouvrage, celui-là est le meilleur. C’est moins un air qu’un récit déclamé sur des accords tranquilles, puis un peu mouvementés, et revenant enfin à leur sérénité première. La forme en est à dessein assez vague, heureusement appropriée à la vision lointaine de souvenirs et d’horizons un peu flottans.

Plus que dans l’Étoile du Nord et que dans Zampa, M. Maurel nous plaît dans le Songe d’une nuit d’été. Le rôle de Shakspeare convient à sa romantique élégance, à sa morbidezza mélancolique, il chante avec toute la poésie qu’elles exigent et la rêverie du premier acte, et les stances du second, où sa voix garde une demi-teinte délicieuse. Il dit avec un accent très juste de surprise et de ravissement ces simples mots qui lui échappent en reconnaissant Elisabeth : La Reine, c’était la Reine ! — Détail, peut-être ; mais de pareils détails ont beaucoup de prix.

Quant à Mlle Isaac, elle nous fait penser à Cromwell, qui, dans un art différent, mais dans un rôle anglais aussi, « ne laissait rien à la fortune de ce qu’il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance. » Quelle prévoyance, en effet, et quelle sûreté chez la chanteuse ! Quelle sécurité chez l’auditeur ! Dans ce rôle un peu froid, Mlle Isaac arrive à