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espagnole s’était mise à la tête d’une troupe de brigands pour surveiller la falsification des diamans de sa propre couronne. En dépit d’une donnée invraisemblable et d’un style parfois drolatique, ce livret du Songe n’est que médiocre : le premier acte n’est pas sans mouvement, et le second a quelque poésie.

A des jeunes gens qui le complimentaient, il y a peu de jours, M. Ambroise Thomas répondait avec sa grâce modeste : « Vous êtes indulgens pour mes vieilleries. » Ce n’est pas l’indulgence de la jeunesse, mais son respect, que méritent de semblables vieilleries, et surtout une semblable vieillesse. Nous serions heureux de reproduire ici le début très élogieux d’un article consacré au maître par le critique allemand que nous citions tout à l’heure, à la condition d’en effacer la phrase malsonnante que voici : « M. Ambroise Thomas est né à Metz, en Alsace (sic) ; les événemens politiques l’ont donc fait en quelque sorte notre compatriote. » Voilà, chez un écrivain que nous avions cru Viennois d’origine et d’âme, un pangermanisme singulier. Voilà en tout cas une malencontreuse revendication, que n’accepte ni le patriotisme du maître ni le nôtre. M. Hanslick oublie que la loi du plus fort ne saurait rétroagir, et que la conquête peut déplacer les frontières, mais non les cœurs.

Autant que par le cœur, le musicien du Songe est français par le talent. Son premier ouvrage important, le spirituel Caïd, est comme une bouffonnerie nationale et coloniale. Le Songe d’une nuit d’été, postérieur au Caïd, est une partition riante encore, mais rêveuse aussi parfois ; la scène capitale du second acte marque une évolution dans la pensée de l’école et dans celle du maître ; elle annonce déjà, sinon l’âpre tristesse d’Hamlet, au moins la mélancolie de Mignon. M. Ambroise Thomas doit trouver je ne sais quelle grave douceur à regarder derrière lui le chemin parcouru, à suivre, à travers son œuvre, du Caïd à Françoise de Rimini, sa pensée, toujours plus sérieuse, toujours plus austère, à mesure que passaient les années, et que, des sommets plus élevés de sa vie, les ombres s’allongeaient sur l’horizon de sa jeunesse. Mais aujourd’hui qu’il a chanté les regrets de Mignon, l’égarement d’Hamlet, et les fatales amours de Francesca, aujourd’hui que l’âge et l’expérience humaine, et surtout ce long commerce avec des âmes désolées, l’ont fait, comme dit Dante, a lagrimar… tristo e pio, triste jusqu’à pleurer, il doit aimer parfois à retrouver les visions moins sombres du passé, à rappeler sur ses lèvres les sourires d’autrefois.

La perle musicale du Songe est l’entrée de Shakspeare dans le parc de Richmond. Vieux style, disent quelques-uns, et pâle romance. « Mais cette pâleur est délicieuse comme celle du clair de lune ; l’accompagnement de ces strophes tremble et flotte au vent de la nuit ; la terre